La grève des enseignants ne pouvait tomber à un pire moment pour les artisans de la littérature jeunesse. La visite au Salon du livre de Montréal de 18 000 élèves issus de groupes scolaires est compromise par l’arrêt de travail des professeurs du primaire et du secondaire cette semaine.
Les auteurs et les éditeurs sont solidaires de la bataille des enseignants pour obtenir de meilleures conditions de travail. Pendant la grève des profs, le milieu littéraire se croise les doigts pour que les parents profitent de l’accès gratuit au Salon du livre décrété pour les enfants de moins de 16 ans et un adulte accompagnateur. Chaque adulte peut accompagner gratuitement un groupe de cinq enfants et moins, mercredi, jeudi et vendredi, entre 9 h et 14 h.
Les jeunes du secondaire de 16 ans ou plus pourront aussi entrer gratuitement sur présentation de leur carte d’étudiant — et sans être nécessairement accompagnés par un adulte, indique Olivier Gougeon, directeur général du Salon du livre de Montréal.
« Ce qui m’attriste, c’est que des enfants de milieux défavorisés ne pourront sans doute pas venir au Salon sans faire partie d’un groupe scolaire. Mais paradoxalement, on espère que des jeunes qui ne seraient pas venus vont profiter des journées de grève pour nous visiter gratuitement », ajoute-t-il.
Dans le milieu littéraire, on considère le Salon du livre de Montréal comme une vitrine incontournable pour la littérature jeunesse. « C’est une sortie scolaire qui est marquante pour les jeunes. Ils font des rencontres et des découvertes qui leur ouvrent les portes de la littérature », dit Olivier Gougeon.
La présence des groupes scolaires est « primordiale » pour les salons du livre, y compris celui de Montréal, insiste Karine Vachon, directrice générale de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). Elle se réjouit que le Salon de Montréal accorde la gratuité aux jeunes et à leurs adultes accompagnateurs.
Les années récentes ont vu des obstacles se dresser autour de l’événement : il y a eu la pandémie, puis l’accès des élèves au Salon de l’an dernier a été rendu difficile par les barrières qui entouraient le Palais des congrès en raison de la COP15, cette rencontre internationale sur la biodiversité. Les autobus scolaires ne pouvaient s’arrêter dans ce quadrilatère.
Un star-système québécois
Des éditeurs joints par Le Devoir ont quand même espoir que les jeunes seront au rendez-vous, ne serait-ce que lors des journées de samedi et dimanche, toujours très achalandées au Salon du livre. La quasi-totalité des événements prévus avant l’annonce de la grève des enseignants ont été maintenus à l’horaire.
« Les jeunes consomment surtout des films et de la musique étrangère, mais ils lisent des livres québécois. C’est unique au monde. On a un micro star-système de littérature jeunesse québécoise », dit Marc-André Audet, des Éditions les malins.
Les pionniers tels Bryan Perro et India Desjardins ont ouvert la voie à une nouvelle génération de lecteurs — et d’auteurs — québécois qui alimentent une littérature foisonnante, souligne l’éditeur.
Les événements comme les salons du livre sont cruciaux dans cet écosystème, parce que l’interdiction de la publicité destinée aux enfants limite aussi la promotion de la littérature jeunesse, rappelle Marc-André Audet.
L’industrie du livre a besoin de tous les coups de pouce possibles, y compris les salons comme celui de Montréal, dans le contexte économique difficile, fait valoir de son côté Sophane Beaudin-Quintin, directeur commercial des Éditions Michel Quintin. « La demande reste là, mais on sent un petit ralentissement, probablement dû à la hausse du coût de la vie et des taux d’intérêt », dit-il.
Les théâtres jeunesse, qui comptent en bonne partie sur les groupes scolaires, doivent aussi s’adapter à la grève des enseignants, rappelle Marie Fradette, autrice, directrice littéraire et critique de théâtre (notamment au Devoir). Elle souhaite que les parents profitent de la grève pour emmener leurs enfants au Salon du livre, à la bibliothèque ou au théâtre. « Sinon, on sait ce qui va arriver : les enfants vont passer leur journée devant un écran. »