30 ans de carrière pour le maître du thriller Patrick Senécal

Le maître québécois du suspense, Patrick Senécal, célèbre cette année ses 30 ans de carrière, au cours desquels il a publié une vingtaine de romans. Il fait d’ailleurs paraître jeudi un nouveau livre, Civilisés, qui raconte une expérience scientifique tournant au vinaigre.

Dès les premières pages, on apprend que douze Québécois de divers milieux ont été sélectionnés par deux psychologues pour prendre part à une mystérieuse étude. Envoyés loin du reste du monde, les participants verront leur capacité à vivre ensemble mise à rude épreuve. L’expérience, qui s’apparente d’abord à des vacances, prendra un virage inattendu.

Comme à son habitude, Patrick Senécal multiplie les rebondissements tordus qui donnent froid dans le dos. Ceux qui raffolent des univers sombres du romancier seront donc en terrain connu.

L’écrivain, qui « commence à avoir du millage dans le corps », raconte au Devoir avoir cependant voulu sortir de sa zone de confort dans cette oeuvre. « Je ne souhaite pas tomber dans le piège de l’auteur qui est prisonnier de son style et de ses tics », confie-t-il.

L’homme de 56 ans s’est donc lancé le défi de s’étonner lui-même, ainsi que ses lecteurs. « Et je trouve qu’il y a pas mal de choses différentes par rapport à mes romans précédents. Oui, c’est un thriller, mais il est beaucoup plus humoristique que les autres », soulève-t-il.

Il admet qu’il n’aurait pas osé mettre en scène une expérience sociologique avec un ton sérieux. « Ça prend quand même des connaissances que je n’ai pas », affirme-t-il.

Clivage et jeu dangereux

Dans Civilisés, l’écrivain en profite toutefois pour décocher des flèches à notre société. Sur Facebook, les internautes sont souvent divisés et campés sur leurs positions « inébranlables », soulève-t-il. « Mon livre capte donc l’air du temps par rapport à nos intolérances les uns vis-à-vis des autres, mais aussi par rapport à une certaine délicatesse. Il faut toujours faire attention à n’offenser personne. »

Patrick Senécal, lui, se permet d’écorcher chacun des personnages présents dans sa nouvelle oeuvre. « Autant les Blancs que les Noirs, que les jeunes ou les vieux », énumère-t-il.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les douze participants à l’expérience sont tous caricaturaux. « Je trouve que c’est un bon moyen de montrer nos travers », explique-t-il.

L’auteur n’épargne donc personne dans son roman. Il se moque entre autres de Lucie, une écrivaine prétentieuse et désagréable, ainsi que d’Yvan, un médecin qui enchaîne les blagues déplacées. « Cet homme, qui est de ma génération, représente de façon peu réjouissante les quinquagénaires blancs hétérosexuels qui sont convaincus que le monde leur appartient. »

Dans la microsociété de Civilisés, tous ont quelque chose à se reprocher, soutient M. Senécal. Les lecteurs le découvriront au fur et à mesure, poursuit-il. Le narrateur brise d’ailleurs souvent le quatrième mur en s’adressant à eux, afin de leur révéler quelques indices concernant la suite de l’histoire.

« Je mets toujours mon lecteur en position de jeu, mais un jeu qui va le rendre mal à l’aise », indique l’auteur. Ce dernier explique que plus le roman avance, plus l’humour cède la place au drame. « L’idée était de dire : “Attention, les excès peuvent mener à des choses étonnantes” », dit-il, en se gardant de dévoiler trop de détails.

Toujours le feu sacré

Trente ans après la publication de son premier roman, 5150, rue des Ormes, Patrick Senécal affirme être toujours habité par la passion de raconter des histoires. « Mais ce n’est pas tous les écrivains qui font ça, certains sont plus dans l’autofiction, l’analyse de leurs comportements ou les réflexions sur leur vie », explique-t-il.

Il est ravi que l’intrigue de sa toute première oeuvre réussisse encore à plaire à des lecteurs. Le roman raconte l’histoire d’un jeune homme qui, après un accident de vélo, se retrouve séquestré dans la maison d’une famille dont le père est psychopathe.

À l’époque où il a écrit son premier livre, en 1994, M. Senécal n’avait pas la prétention de croire qu’il vivrait un jour de sa plume, relate-t-il. « Tu peux bien l’espérer vaguement, mais tu ne peux pas écrire pour ça », soutient-il.

Dès ses tout débuts, il a toutefois réussi à fidéliser de nombreux lecteurs, qui sont désormais des quinquagénaires ou des sexagénaires. Plusieurs personnes dans la trentaine lui rapportent aussi être friandes de son univers, depuis qu’elles l’ont découvert à l’adolescence avec Le passager.

Ce court roman plonge dans le quotidien d’un professeur de littérature qui décide un jour de faire monter dans sa voiture l’autostoppeur qu’il voit toujours posté au même endroit. « C’est mon livre qu’on fait le plus lire dans les écoles secondaires, parce qu’il n’est ni trop long ni trop trash. Pour moi, c’est une carte de visite, en fait. Ce que je n’aurais jamais cru quand je l’ai publié, en 1995 », soulève-t-il.

Quand il regarde le chemin parcouru en trois décennies, celui qui n’a pourtant « jamais eu de plan » de carrière s’estime comblé. « Je me dis que je ne peux pas me plaindre », lance Patrick Senécal en souriant.

Civilisés

Patrick Senécal, Éditions Alire, Lévis, 2024, 664 pages

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