À Niagara Falls, la détresse psychologique de plusieurs demandeurs d’asile

La flambée des loyers, les différences culinaires et la barrière linguistique compliquent l’intégration des demandeurs d’asile hébergés à Niagara Falls, non sans conséquences sur leur santé mentale.

« Trouver un emploi pour les francophones, c’est pas facile. Le logement, c’est encore pire », témoigne Nickensonievzsky Aubourg, un agent du Centre de santé communautaire Hamilton / Niagara (CSCHN), qui dessert la communauté francophone. Louer une chambre dans la région peut coûter 800 $ par mois ; un sous-sol, 1300 $, affirme-t-il.

Ce contexte pousse d’ailleurs plusieurs demandeurs d’asile à retourner à Montréal même s’ils ne bénéficient alors plus d’un hébergement payé par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

Aller à Montréal, Yusuf y a déjà songé, mais il ne parle pas français. C’est pourquoi ce demandeur d’asile kurde, que nous ici citons sous un nom fictif pour sa sécurité, compte s’établir à Niagara Falls. Mais quitter l’hôtel où il loge avec sa femme et son fils de trois ans n’est pas envisageable pour l’instant. Son épouse ne parlant ni anglais ni français, il est le seul de la famille à pouvoir travailler. Yusuf multiplie donc les quarts de chauffeur Uber, travaillant parfois 70 heures par semaine. S’il devait trouver son propre hébergement, l’argent qu’il gagne lui permettrait de « payer la voiture et la maison ». « Mais qu’est-ce que je mangerais ? » lance-t-il.

« Je ne suis pas venu au Canada pour l’argent. Je suis venu pour assurer un avenir à mon fils », répète Yusuf. Arrivé il y a un an et demi au pays, celui qui était enseignant et cultivateur en Turquie postule « tous les jours » pour de nouveaux emplois. Mais « ils ne me rappellent jamais », dit-il, déplorant ne pas avoir d’autre référence que celle d’un pasteur du coin.

Pourtant, « ces gens-là, ils viennent ici avec des atouts », dit Bonaventure Otshudi, directeur des services aux nouveaux arrivants du CSCHN. « On a des médecins, des infirmières, des gens qui sont qualifiés, qui sont là, mais qui attendent [d’avoir un travail]. »

Détresse psychologique

Trois fois par semaine, M. Aubourg accueille des demandeurs d’asile dans des bureaux de poche situés dans des hôtels pour aider ces derniers dans leur recherche de logement, les inscrire à des cours d’anglais ou encore les accompagner dans leurs procédures d’immigration.

Certains veulent juste lui dire « bonjour » et discuter, raconte-t-il, mais plusieurs sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. Leur volonté d’aider les membres de leur famille encore dans leur pays d’origine pèse sur leur état psychologique, note M. Aubourg. « Je pense qu’il y a plus de gens en détresse [qu’en 2022], même si cela ne paraît pas. Nous, les Noirs, on a tendance à négliger la santé mentale », dit-il, racontant que plusieurs sont « réticents » à recevoir de l’aide.

« Si tu es dans un pays où tu n’as personne à qui parler, tu n’as personne à qui raconter ton histoire ou poser des questions, ça peut être un peu déprimant », témoigne Olayinka Animashaun. Fuyant la violence conjugale, la Nigérienne est arrivée seule au Canada en 2015 ; ses deux enfants l’ont rejointe trois ans plus tard. Aujourd’hui citoyenne canadienne, elle a depuis donné naissance à un troisième enfant et cofondé l’Organisation de la culture africaine et caribéenne de Niagara, qui aide les nouveaux arrivants noirs à trouver un logement et un emploi.

Être dans son assiette

Mme Animashaun a également mis sur pied le Chrispy African Market, à St. Catharines, à une vingtaine de kilomètres de Niagara Falls, où elle vend à bas prix des produits importés d’Afrique. Tout ça sans aucun financement gouvernemental, déplore-t-elle. Pied de vache, tête de chèvre, foufou (une pâte qui se mange avec de la sauce) de banane plantain, vêtements, perruques : tout le monde y trouve son compte. Les clients du local, qui y fourmillaient lors du passage du Devoir la semaine dernière, peuvent même utiliser la cuisine commune du marché pour préparer des plats et se partager les coûts.

« À midi, ils mangent des sandwichs froids. Le soir, une petite soupe, et ils ne mangent pas à leur faim », dit M. Otshudi. « On a demandé à l’hôtel si c’était possible d’avoir une cuisine culturellement adaptée pour ces demandeurs d’asile, et l’immigration nous a écoutés dans plusieurs hôtels », reconnaît-il.

« Dans les hôtels, ils leur donnent de la nourriture qu’ils ne savent pas manger », affirme quant à elle Mme Animashaun. « Comme si tu te rendais en Afrique et que je te préparais de l’égousi ; eux ne savent pas ce qu’est un pierogi, du concombre ou du brocoli. »

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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