Allison Russell, éternelle survivante | Le Devoir

Le second album de l’autrice-compositrice-interprète et activiste Allison Russell s’intitule The Returner, un titre inspiré par le miraculeux retour de l’une de ses idoles, Joni Mitchell. Retour dont elle fut un témoin privilégié puisqu’à ses côtés lorsque la légende est remontée sur scène au Newport Jazz Festival, dans le Rhode Island, en juillet 2022. « Ce titre exprime la joie des survivants, comme Joni. Nous avons tous ressuscité de quelque chose et chaque chanson de l’album est une sorte de méditation groovy autour de cette idée. La vie, c’est difficile pour tout le monde, nous sommes tous de joyeux survivants », nous disait Allison lors d’une visite à Montréal, il y a quelques semaines.

« Ma mère, qui m’a eue lorsqu’elle avait 17 ans, écoutait toujours Joni Mitchell, raconte Allison, chanteuse et clarinettiste de formation. La première fois que je me souviens d’avoir entendu de la clarinette, c’était sur la chanson For Free, de l’album Ladies of the Canyon [1970], c’est tellement beau, tu la connais ? »

La vie, c’est difficile pour tout le monde, nous sommes tous de joyeux survivants

Allison déploie alors sa chaude voix soul pour nous en offrir le premier couplet : « I slept last night in a good hotel / I went shopping today for jewels / The wind rushed around in the dirty town / And the children let out from the schools… »

Joni Mitchell ne devait plus chanter — ni même parler ou marcher, affirme Allison. Elle est pourtant de retour sur scène. « Il y a plusieurs niveaux de sens à accorder au titre The Returner, explique la musicienne. J’ai eu l’idée de ce nom après le festival à Newport ; j’étais tellement reconnaissante d’avoir pu y participer, et j’ai été bouleversée par cette expérience. C’est une femme qui est revenue trois fois de la mort, qui a dû réapprendre à parler, à bouger, à chanter, elle est si forte. »

Une survivante, dit Allison, qui, en la matière, en connaît un rayon. C’était le récit d’Outside Child, son premier album solo paru il y a deux ans. Sa propre histoire, celle d’une jeune fille de Montréal ayant subi l’horreur aux mains de son père adoptif pour ensuite s’accrocher à la musique comme à une bouée de sauvetage. « Je ne serai jamais tannée de parler de ça », assure Allison lors de ce long entretien qu’elle tenait à faire en français. « Je savais dans quoi je m’engageais en faisant un tel album, je savais que j’allais en parler pour le restant de mes jours. »

« Et je suis toujours contente d’en parler parce que le cycle de la violence persiste lorsqu’on garde le silence, poursuit-elle. J’ai le pouvoir de le briser en en parlant, je me sens plus forte chaque fois que j’en parle. Cette expérience que j’ai vécue, d’autres aussi la partagent et rien ne changera si on n’affronte pas ce mal. Je ressens d’autant plus le besoin de contribuer à briser le cycle que je suis devenue mère à mon tour. J’ai la responsabilité de faire tout ce que je peux pour améliorer le monde, je ne veux pas que ma fille ait à porter les mêmes traumatismes que je porte. »

Malgré ceux-ci, Allison avait réussi à faire d’Outside Child un album réconciliateur lui ayant valu trois nominations aux prix Grammy et lui valant le prix de l’album de l’année au gala de l’Americana Music Association en 2022.

The Returner est encore plus lumineux, porté cette fois par de francs élans funk, pop, rock et gospel qui décuplent le registre musical d’Allison, laquelle s’est entourée d’une vingtaine de collaborateurs pour enregistrer les dix nouvelles chansons de l’album, ses seize soeurs de ce qu’elle nomme sa « Rainbow Coalition, et trois frères choisis ».

Parmi celles-ci, notons la présence du duo pop Wendy & Lisa, membres du légendaire orchestre The Revolution ayant suivi Prince durant les belles années de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, ses albums 1999 et Purple Rain, notamment, et les tournées qu’il en a tiré — on reconnaîtra l’influence funk-soul-pop du regretté génie de la pop afro-américaine sur Demons et All Without Within, « mon hommage à Prince ». « Je les adore », dit Allison à propos de ses nouvelles amies Wendy Melvoin et Lisa Coleman, qui ont lancé trois excellents albums à la fin des années 1980.

Sur The Returner, Allison Russell assure préserver « l’esprit de Nashville », bien enraciné dans la musique folk et country que l’on entend toujours en filigrane des chansons, « parce que c’est aussi ça, l’esprit de Nashville : les racines noires du gospel, du funk, du rock ». Incidemment, deux mois avant notre conversation, c’est Willie Nelson qu’Allison embrassait, invitée à chanter au Concert Celebrating Willie’s 90th Birthday qui s’est tenu fin avril au Hollywood Bowl de Los Angeles. « J’ai chanté Seven Spanish Angels en duo avec Norah Jones — Norah, la partie de Ray Charles, et moi, celle de Willie », qui s’est pointé durant la répétition en conduisant une voiturette de golf pour les saluer ! « J’adore Norah, c’était tellement naturel, tellement facile de chanter ensemble. »

L’album se termine par une poignante prière blues-folk aux reflets gospel, chantée en partie en français, intitulée Requiem, lourde de sens pour Allison Russell : « Requiem pour tous les gens partis trop tôt, Requiem pour l’innocence volée à nos enfants, commente-t-elle. Même si j’ai été capable de briser le cycle de violence dans notre famille, il reste qu’on habite aux États-Unis ; récemment, il y a eu une tuerie à l’école près de chez nous… »

C’était en mars dernier, à la Covenant School. Un ancien élève a abattu trois enfants et trois adultes avant d’être lui-même abattu par les policiers. « Quand j’étais petite, l’école était un sanctuaire. Je m’y sentais en sécurité, protégée de ce que je vivais à la maison, c’est là où je me sentais le mieux. Aujourd’hui, ma fille se réveille encore parce qu’elle en fait des cauchemars, car elle ne se sent pas protégée à l’école. Et le gouvernement qui ne fait rien contre la violence par arme à feu ! Je n’ai jamais vécu ce qu’elle vit aujourd’hui. »

The Returner

Allison Russell, Fantasy

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