Anatol Ugorski, la mort d’un électron libre

Anatol Ugorski est décédé mardi en Allemagne à l’âge de 80 ans. Il laissera l’image d’un artiste singulier promu par la Deutsche Grammophon dans les années 1990 avec, à la clé, références et étrangetés artistiques.

Né en 1942 à Roubtsovsk en Russie, Ugorski est formé au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, alors Leningrad. Il se distingue dès ses années d’études en assurant des créations d’oeuvres et en jouant Schoenberg, Messiaen ou Boulez.

Son ostensible enthousiasme lors d’un concert dirigé par Pierre Boulez en 1968, à Leningrad, lui vaut d’être sur le radar des autorités, qui le soupçonnent d’être un rebelle contestataire. Sa carrière est freinée et il ne peut se produire durant 10 ans que dans des écoles de province devant de jeunes élèves. Après près de 15 ans de purgatoire, il est nommé, en 1982, professeur au Conservatoire de Leningrad.

En 1990, sa fille Dina, alors âgée de 16 ans, ayant subi les contrecoups et méfaits d’une montée de l’antisémitisme en URSS, il quitte avec elle Leningrad pour Berlin-Est. Un musicien russe le recommande à Deutsche Grammophon (DG) qui enregistrera en mai 1991 les Variations Diabelli de Beethoven. Ugorski s’établira définitivement en Allemagne, obtiendra la nationalité allemande et deviendra professeur au Conservatoire de Detmold.

Même si le legs d’Ugorski chez DG ne représente que 13 CD (réunis en coffret en 2018), il y a là des références : Catalogue d’oiseaux de Messiaen ou Concerto pour piano de Scriabine avec Boulez, ainsi qu’un superbe programme de pièces brèves, « Short Stories ».

Son enregistrement le plus controversé est la Sonate opus 111 de Beethoven avec un 2e mouvement de 26 minutes, soit la durée de la sonate au complet pour nombre de pianistes. Mais le contrôle du son, le cantabile sont si magiques qu’au contraire d’autres expériences de « temps figé » du même type (Valeri Afanassiev, Vitali Margulis), il se passe, avec Ugorski, quelque chose d’hypnotique et de fascinant.

Après la mort de sa fille Dina, elle-même pianiste, d’un cancer en 2019, Anatol Ugorski s’était muré définitivement dans le silence. Il restera comme un intellectuel du piano, à la palette sonore exceptionnelle, capable d’évasions dans le temps et l’espace, dont la singularité artistique, qui dérangeait peut-être, n’a pas été suffisamment reconnue et creusée.

Cet artiste, dont la carrière a commencé à 50 ans, avait assurément d’autres choses à nous dire. Mais qui, dans ce métier, avait envie de prendre des risques…

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