« Archiviste » propose une version différente de l’Acadie

L’auteur-compositeur-interprète néo-écossais Trevor Murphy offre au public de Coup de coeur francophone l’honneur de découvrir en primeur live les chansons nouvelles d’Archiviste, album de son projet pop-punk Sluice paru vendredi dernier. Depuis Halifax, où il nous accorde une entrevue, Murphy, musicien et entrepreneur formé à l’université en journalisme, en histoire et en études religieuses, décrit l’esprit de son projet : « C’est prendre mon côté académique, puis mon côté musical, et “smasher” les deux ensemble pour créer quelque chose qui représente vraiment mes deux facettes ! » Goûteuse râpure, on vous l’assure.

Avant de nous pencher sur les chansons de cet excellent album, il convient de revenir sur la création de sa maison de disques, Acadian Embassy, et surtout sur le dilemme identitaire qui sous-tend toute cette démarche artistique. Il s’agit d’un récit de reconquête qui fait chaud à entendre de la part d’un membre de la communauté acadienne, « qui a une relation tellement difficile avec son histoire ».

« Ma mère est francophone, raconte Trevor. Mémère était encore plus francophone — une super-Acadienne ! Pourtant, entre nous, les amis de ma communauté, on se parlait finalement rarement en français. » Trevor a fait sa scolarité, primaire et secondaire, dans une école francophone, quelque part dans un village de Par-en-Bas, cette région du sud de la Nouvelle-Écosse occupée par des Acadiens « depuis 1650 », souligne l’historien en herbe.

Pendant ses études universitaires à Halifax, il jouait du rock, avec les amis, dans une pléiade de projets qui garnissent depuis le catalogue d’Acadian Embassy. Et chantait… en anglais. Parce que c’était plus simple. Aussi parce qu’il était gêné par la qualité de son français parlé. « À la longue, tu perds l’aptitude — et l’habitude — de parler en français. Pourtant, on se sentait encore acadiens, de fiers Acadiens, même si on parlait rarement le français. »

S’est construite autour de lui une petite communauté de musiciens, des amis, des colocs. « Et lorsqu’on emménageait ensemble dans un nouvel appartement ou dans une maison louée, on lui donnait un surnom. Y’a eu le “Castle”. D’autres amis habitaient le “Dirt Mansion”. “Il est où, le party, ce soir ? Au Dirt Mansion !” On parlait comme ça. »

La maison qu’il a louée avec sa copine et l’ami Josh Pothier fut ainsi nommée l’Acadian Embassy. Quel bon flash, devenu l’identité de son étiquette de disques !

Cet album a suscité entre nous de longues discussions sur notre patrimoine, notre « héritable », et notre relation difficile avec notre histoire

« Ce nom a servi chez moi d’élément déclencheur pour remettre mon identité acadienne dans ma création musicale. Comment aborder notre identité en s’amusant avec, tout en faisant la promotion d’une scène musicale alternative ? » C’était à la fin des années 2000, et les Acadiens se lanceraient dans le rock, en anglais, anticipant la réaction de la communauté, dans laquelle la langue française est aussi déterminante qu’asphyxiée. La maison de disques a lancé une balle courbe dans le débat avec l’album The Great Upheaval, du groupe postrock Kuato (avec l’ami Josh Pothier à la batterie), « sur lequel chacun des mouvements évoque le récit de la déportation… mais sans paroles, tout instrumental ! Cet album a suscité entre nous de longues discussions sur notre patrimoine, notre “héritable”, et notre relation difficile avec notre histoire ».

Convaincre l’ado en lui

Ce qui nous amène à Archiviste, album de pop-skate-punk chanté en français de Par-en-Bas, exception faite de la chanson American Lights, « rappel que notre communauté est indissociable des anglophones du Nouveau-Brunswick ». Trevor a abordé le projet en s’imaginant recevoir un tel album adolescent : « Qu’est-ce qui ferait du bien à un gars de 16 ans qui aime la musique excitante ? Qu’est-ce qui aurait pu me convaincre que la musique en français était cool ? Je n’avais pas de telles références musicales quand j’étais jeune, je n’écoutais que de la musique anglophone. »

Autre désir : lier ce projet d’album à l’histoire de sa région, de sa communauté, de Par-en-Bas. « Je ne connaissais pas grand-chose de l’histoire de ma communauté », admet le musicien. Invité à faire une retraite de création au lieu historique national du Canada du Palais-de-Justice-et-Prison-du-Canton-d’Argyle, à Tusket, il s’est plongé dans les archives, découvrant une multitude d’écrits, de livres édités à petits tirages par des « historiens amateurs de l’époque ». « Et je me sens un peu comme eux aujourd’hui. »

Il a dévoré les archives complètes de l’important hebdomadaire L’Évangéline, témoin de l’évolution de la société acadienne entre 1887 et 1982, qui lui ont inspiré la plupart des récits d’Archiviste — et l’essentiel des strophes de la chanson L’année des trois huit (l’an 1888), apparemment calamiteuse pour le peuple de Par-en-Bas. Tout ça raconté entre trois glorieux accords de guitare punk, au milieu desquels on trouve un refrain à faire brandir le poing inspiré par le souvenir de la sorcière de la Pointe-du-Sault, ainsi que le récit de cette Madeleine ayant échappé, deux fois plutôt qu’une, à la déportation de 1755 en se cachant dans la forêt lorsque passaient les Anglais. Épique, on vous dit !

Archiviste, c’est, enfin, une manière de se réapproprier son histoire et son identité en contournant les clichés sur les Acadiens, affirme Trevor Murphy : « À propos des Acadiens, on est toujours en train de parler d’Évangéline et de Gabriel, pis du drapeau, pis de la râpure », ce plat traditionnel des Acadiens de la Nouvelle-Écosse à base de pommes de terre râpées, de bouillon et de viande de poulet, qu’on cuit au four comme un pâté chinois. « Which on adore, sans blague, mais suis-je obligé à m’identifier seulement à ça ? »

Archiviste

Sluice, Acadian Embassy. Le groupe est en concert le 11 novembre à 22 h à L’Escogriffe, avec Feu toute !, dans le cadre de Coup de coeur francophone.

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