Le Canada et l’Europe y pensent. Les États-Unis l’ont fait. Le Québec étudie la question : quel serait un bon cadre législatif pour l’intelligence artificielle (IA) ? Elle sera débattue jeudi à Montréal durant un Forum public organisé par le Conseil de l’innovation du Québec. L’innovateur en chef Luc Sirois s’attend à un événement unique au monde.
« Une approche collective comme celle du Québec, on n’en voit pas ailleurs », dit d’entrée de jeu M. Sirois en entrevue avec Le Devoir. Jeudi, durant son Forum public sur l’encadrement de l’intelligence artificielle, le Conseil de l’innovation du Québec présentera les constats et les recommandations qui émergent de toutes ces consultations et contributions. Il en ressort en principal fait saillant l’importance de gagner la confiance du public. « Pas loin de 300 experts ont participé. On a aussi fait un appel au public — 420 personnes ont contribué. »
« Ce qui est en train d’émerger, c’est l’importance d’être à l’avant de la parade — de continuer à investir en recherche et développement dans l’IA met tout le monde d’accord. Puis, il faut le faire de façon responsable — inclure des outils de vérification qui assurent que les outils et les données sont fiables et de confiance. »
Ça va vite
Mener la marche de l’IA est plus facile à dire qu’à faire. Grâce principalement à l’importance de la recherche universitaire et privée en IA effectuée à Montréal, le Québec a un rôle étonnamment central dans l’émergence de cette technologie. L’éclosion en accéléré des IA génératives comme celles d’OpenAI et de Google ont toutefois complètement changé le portrait de l’industrie.
« L’IA générative débarque vite en tabarnouche ! s’exclame Luc Sirois. Plus qu’avec l’Internet et les réseaux sociaux, les secteurs de l’éducation, du travail, de la santé doivent évoluer. Ce n’est pas un nouveau thème, mais c’est un défi pratiquement infaisable d’évoluer au rythme de l’IA. On est obligés d’inventer de nouvelles façons de faire qu’on n’avait pas avant. Et il faut fournir des outils aux citoyens pour qu’ils sachent à qui ils ont affaire, à qui ils peuvent faire confiance. »
Cette capacité à détecter la présence d’une IA ou la nature des contenus générés par une intelligence artificielle est un autre élément récurrent parmi les commentaires reçus sur le sujet par le Conseil de l’innovation du Québec, explique son principal dirigeant.
Là encore, le défi est de taille. La volonté des gouvernements, des entreprises spécialisées et des chercheurs de forcer leurs créatures informatisées à signer leurs oeuvres pour qu’on puisse en retrouver la source fait consensus. Comme l’a mentionné à plusieurs reprises l’influent chercheur montréalais Yoshua Bengio ces derniers mois, la menace se trouve plutôt du côté des applications d’IA qui seront détournées de leur rôle initial par des personnes ou des organisations aux intentions malicieuses.
On a déjà vu Facebook être manipulé par des groupes étrangers pour influencer les résultats électoraux dans plusieurs démocraties. On voit tous les jours le réseau Internet être mis à mal par des pirates qui n’ont pour seul objectif que de vider le compte en banque des internautes de partout sur la planète.
Oui, il y a des criminels, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas établir de cadre
Il serait illusoire de croire que l’IA ne subira pas le même sort. « Tout le monde partage cette opinion. La menace, elle vient de pays rebelles. Qu’est-ce qu’on peut faire ? s’interroge Luc Sirois. Je trouve ça un peu défaitiste — oui, il y a des criminels, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas établir de cadre. »
L’IA dans tous ses États
Si le haut niveau de participation au projet québécois d’encadrement de l’IA est assez particulier pour intriguer à l’international, c’est qu’à peu près tous les gouvernements occidentaux ont en ce moment ce dossier sur leur table à dessin. « Le ministre du Numérique français nous a contactés pour mieux comprendre, la Suède, l’Autriche, l’Allemagne sont toutes intriguées. C’est assez unique ce qu’on fait au Québec. »
C’est en tout cas bien différent de ce qu’a fait lundi dernier le président américain, Joe Biden, qui a mis fin aux tergiversations et a imposé subitement par décret son propre cadre législatif pour limiter les éventuels dérapages dans l’utilisation de l’IA en sol américain.
L’ordonnance présidentielle s’inspire de propositions avancées ailleurs, notamment dans le projet de loi sur l’intelligence artificielle et les données que le gouvernement canadien espère adopter prochainement. Par exemple, les États-Unis créeront un Conseil de sûreté et de sécurité de l’IA, qui évaluera la menace que pose la technologie sur la sécurité du pays et sur la vie privée de ses citoyens. Le Canada songe aussi à créer un conseil, un organisme qui grosso modo pourrait faire pour l’IA ce que le CRTC fait pour la télé et la radio.
Évidemment, les États-Unis ont une influence sur l’industrie des technologies qui ne peut que faire rêver le Québec. Mais la province peut s’en inspirer, dit Luc Sirois. « Les créateurs de nouvelles technologies doivent aussi se soumettre à la loi, et s’ils ne le font pas, ils se feront sortir du marché. L’exemple des médicaments est bon : des centaines de milliards de dollars sont investis dans la recherche et développement même si c’est extrêmement réglementé — et ceux qui trichent finissent par se faire bannir ou ils finissent en prison. »