En 2015, comme le personnage de son nouveau roman, le comédien, danseur et metteur en scène Mathieu Leroux s’est retrouvé paralysé, cloué à un lit d’hôpital par le syndrome de Guillain-Barré, une maladie auto-immune qui n’est d’ailleurs jamais explicitement nommée dans le livre qui vient de paraître chez Héliotrope et qui s’intitule Camouflé dans la chair.
Roman d’apprentissage autofictionnel d’une admirable honnêteté, le troisième opus de Mathieu Leroux s’inscrit dans le prolongement des précédents, Dans la cage (2013) et Avec un poignard (2020). La première des deux parties est un journal de bord, le récit d’un séjour aux soins intensifs. Le narrateur, omniscient, s’exprime à la troisième personne. Trachéotomisé, « le patient » est sous respirateur. « Il en est là, ce corps amoché, défaillant, inerte. […] Avec pour seules parties mobiles les deux premières vertèbres cervicales, qui lui permettent de légèrement tourner la tête afin d’actionner une cloche d’appel, et sa paupière gauche pour communiquer. Tout le reste est paralysé. »
Il est question des médicaments, des procédures, puis de la rééducation en institut et du retour à la maison. Des passages en italique sont tout droit sortis du dossier médical. « Atteinte neurologique sévère. Détérioration motricité. Sensibilité physiologique déficiente (hypoesthésie). » Autour du patient, parents, amis et soignants s’activent. Mais la souffrance est grande. L’angoisse aussi. Heureusement, comme des soupapes, des oeuvres picturales, musicales, littéraires et cinématographiques surgissent dans son esprit.
Au terme de cette traversée d’un an et demi, le principal intéressé considère que l’épreuve ne l’a pas transfiguré. « Il n’y a pas de révélation quand on “sort” d’une importante maladie […] Il y a un avant et un après. C’est tout. Pas de grandes vérités. Pas de leçon inestimable. »
Dédales affamés
Dans le second volet du roman, très différent du premier, on retrouve le même personnage quelques années plus tard, rétabli, déambulant dans un vaste sauna gai d’Amsterdam. « Dans ces dédales affamés s’entremêlent des moments bestiaux où l’instinct prime et des instants de lucidité absolue. » Le narrateur ne dit plus « le patient », mais bien « le client ». Pour l’auteur, il s’agit d’une occasion en or d’analyser de manière sensible et théorique les us et coutumes de l’endroit. « Sous la gêne obligatoire loge la satisfaction de fréquenter l’obscurité et l’éphémère. Ce n’est pas une crainte de l’amour, plutôt le choix d’interroger cet amour, de le voir pluriel et transitoire, tant dans sa tête que dans les recoins de l’exultation. »
Entre le sauna et l’hôpital, d’heureux parallèles s’établissent. « La richesse de certains contacts, ici, lui rappelle la force de certaines rencontres faites à l’hôpital. Des étrangers qu’on ne revoit jamais. Des gens qui marquent, font une encoche précise dans un parcours. Deux communautés qui touchent, pansent, écoutent, résistent. » À la toute fin du roman, en disant « je », en reprenant le contrôle de la narration, le personnage semble confirmer que le processus de réappropriation du corps est bien enclenché.