De notre envoyé spécial à Chamonix,
Il aurait pu tirer la couverture à lui, comme la présence d’un drapeau américain sur la ligne d’arrivée le laissait penser. Son triomphe sur l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) ce samedi a pourtant permis d’enfin offrir ce titre suprême aux Etats-Unis, après une interminable disette depuis la création de la course de 171 km (et 10.000 m de dénivelé positif) en 2003. Mais Jim Walmsley a fait preuve de la sincère modestie qui accompagne tant l’ultra-trail, y compris auprès des stars de la discipline donc. « Mon nom accompagne à présent un très fort contingent de traileuses américaines, n’oublions pas ça », a glissé illico l’intéressé au speaker de l’UTMB.
Cela fait d’autant plus sens que quatre heures plus tard, sa compatriote Courtney Dauwalter raflait son troisième sacre à Chamonix (après 2019 et 2021), après ceux de Krissy Moehl (2003 et 2009), Nikki Kimball (2007), Rory Bosio (2013 et 2014), et enfin Katie Schide l’an passé. Mais côté masculin, il fallait remonter à 2016 et 2017 pour trouver trace d’un simple podium (Tim Tollefson les deux fois). Alors comment a-t-on pu basculer d’un fiasco que le coureur phare d’Hoka s’amusait à mettre en perspective avec la lose française sur le Tour de France, dans une interview à 20 Minutes, à un tonitruant doublé Walmsley-Miller ce week-end ?
« Bien sûr, vivre en France m’a aidé à gagner »
« La clé, c’est que je me suis senti assez fort dans les passages de randonnée. Ça, c’est le Beaufortain avec ses montagnes escarpées », a spontanément confié le grand vainqueur du jour, qui commençait à se construire un beau palmarès de galérien ici, malgré un statut de quasi-favori chaque année (5e en 2017, abandons en 2018 et 2021, 4e en 2022). Et oui, notre gars de l’Arizona a fait le choix au printemps 2022 d’emménager avec sa compagne à Arêches-Beaufort (Savoie), où il est quasiment voisin avec son ami et quadruple vainqueur de l’UTMB François D’Haene.
« Les choses ne s’étaient pas bien passées pour moi en 2021 sur l’UTMB, se souvient Jim Walmsley. Il fallait donc que je change des choses. J’ai consacré mes entraînements à ma gestion des montées, ce qui ne pouvait que m’aider à améliorer mes temps de course. Vivre en France a eu un énorme impact dans mon entraînement, dans ma manière de penser et mes qualités sur les terrains raides. Bien sûr, cela m’a aidé à gagner aujourd’hui. » Une recette tellement gagnante que le triple vainqueur (et chrono record) de la Western States (Etats-Unis) est passé haut la main sous la barre symbolique des 20 heures (19h37’43”), tout comme son inattendu dauphin Zach Miller (19h58’58”) par-dessus le marché.
« On ne réalise pas tout ce que ça coûte de se consacrer à une telle course »
En exagérant un poil (ça nous arrive), c’est comme si on avait sereinement droit à une finale 100 % frenchie (et Arthur) entre Fils et Rinderknech sur le Central de Roland-Garros en 2024. Il convient déjà de voir si ces traileurs américains estimaient ne pas assez prendre au sérieux la préparation d’une course aussi exigeante que l’UTMB. Cette théorie leur valait d’être chambrés depuis très longtemps par leurs homologues français. Personnage bien authentique/funky, à l’image de sa moustache, Zach Miller (34 ans) a donné un élément de réponse à ce sujet ce samedi.
Aux Etats-Unis, la plupart de nos courses restent plus roulantes que celle-ci.Or les traileurs américains s’entraînent avant tout pour préparer le style de courses de leur pays. Ça prend du temps pour comprendre ce qu’il faudrait faire pour être mieux préparés à l’UTMB. Parfois on ne réalise pas tout ce que ça coûte de se consacrer pleinement à une telle course. »
Traduisons-le : nos amis ricains étaient historiquement adeptes des bornes (sans véritable dénivelé) avalées dans les forêts, et ce de jour et sous grosse chaleur. Soit tout l’inverse du carnage auquel ils sont confrontés en débarquant, souvent à la dernière minute, en Haute-Savoie (ah le Grand col Ferret de nuit, quel bonheur). D’ailleurs, il est intéressant de constater que Zach Miller lui-même, malgré son succès en 2015 sur la CCC (épreuve de 100 km faisant partie de l’UTMB Mont-Blanc), puis ses expériences bien plus mitigées sur l’UTMB (6e en 2016, 9e en 2017, abandons en 2018 et 2019, et enfin 5e en 2022), a mis du temps à concevoir LA prépa idéale en vue de cette 20e édition.
« Jim a de la force en montée, ce qui n’était pas le cas »
« Je me fais énormément de montées et de descentes, et je me suis moins soucié de mon volume de course à effectuer, confie celui qui a pourtant longtemps vécu au pied de Pikes Peak (l’un des plus hauts sommets du Colorado, 4.301 m) avant d’adopter la van life. Là, mes entraînements de l’été étaient tous sur du dénivelé positif et négatif dans le Colorado, pour faire face à une course aussi raide que peut l’être l’UTMB, qui alterne sans cesse montées et descentes. » Ce qui pousse le Français Germain Grangier, troisième ce samedi sur l’UTMB, à noter : « Zach est peut-être l’un des seuls Américains qui s’entraîne beaucoup dans des endroits très montagneux aux Etats-Unis ».
Le compagnon à la vie de l’Américaine Katie Schide valide également le plan de carrière de Jim Walmsley, qui l’a donc conduit dans le Beaufortain : « C’est un projet sur le long terme. On voit qu’il est très bon avec les bâtons maintenant. Il a aussi fait du ski alpinisme l’hiver, et il a de la force en montée, ce qui n’était pas le cas avant ». Des atouts pour taper des accélérations fatales comme après le ravitaillement de Champex (km 127), lorsque Germain Grangier venait de le rattraper et que Zach Miller avait une confortable avance en tête de la course.
Il a clairement changé de rythme en sortant de Champex, commente Germain Grangier. Pour moi, avec mon potentiel physique, c’était impossible de le suivre. Ça a été le moment le plus dur de ma course. Je ne savais pas si c’était moi qui étais en train d’exploser, ou lui qui faisait une grosse accélération. Mais quand j’ai vu qu’en une heure il avait repris dix minutes à Zach, j’ai compris que ce n’était pas moi le problème. »
Le contre-exemple Courtney Dauwalter
Non, le problème se nomme bien Jim Walmsley (33 ans), qui compte revenir participer à l’UTMB, où il a désormais débloqué le compteur américain. D’ailleurs, Zach Miller serait-il tenté d’adopter la même stratégie en emménageant à son tour dans les Alpes ? « Je ne dis jamais jamais mais j’aime vivre aux Etats-Unis quand même, sourit-il. Je ne pense pas que ce soit impératif de venir vivre en France comme l’a fait Jim. Ça peut aider mais regardez Courtney Dauwalter, elle donne l’impression de détruire tout ce qu’elle touche sans pour autant vivre en France. »
Certes, mais un tel choix de carrière pourrait encore davantage faire du trail masculin US l’épouvantail de cet UTMB, après en avoir quasiment été la risée. Rendez-vous compte : il y a un an, Zach Miller finissait déjà derrière Jim Walmsley, mais à la cinquième place, et avec un temps plus lent… de 90 minutes. Concernant le nouveau roi de Chamonix, ses progrès réalisés grâce à son année et demie passée chez nous sont bluffants, sur la gestion du froid, de la nuit, de la nutrition, du rythme et de la tactique de course… sauf sur le français. Invité à glisser un mot à un public en transe à l’arrivée, Jim Walmsley s’est contenté de bredouiller ce samedi : « Merci beaucoup pour… je ne sais pas comment on dit… pour le support ». OK, même le ski alpinisme est plus simple à apprendre que notre langue.