critique du blockbuster le plus fou de l’année

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LA BELLE ÉPOQUE

Il y a huit mois de cela, le roi Shahrukh Khan récupérait son trône en signant avec Pathaan le plus gros succès de l’histoire du box-office hindi. Mais aussi absurde que cela puisse paraître, il ne s’agissait même pas de son projet le plus ambitieux de l’année. Ses fans attendaient bien plus impatiemment la sortie de Jawan, un blockbuster mystérieux dont même les bandes-annonces ne dévoilaient que peu de choses sur l’intrigue.

Si Jawan était attendu à ce point, c’est avant tout parce qu’il incarne l’aboutissement du renouveau du cinéma indien. Longtemps divisé de manière très marquée en industries régionales, le septième art local tente depuis plusieurs années de créer des films visant toute la nation. Des longs-métrages réunissant le cinéma hindi, tamoul ou encore télougou pour toucher un public bien plus large.

 

Jawan : photoUne momie pas comme les autres

 

C’est évidemment un enjeu majeur que le cinéaste Atlee a parfaitement saisi avec Jawan. Pour sa première production bollywoodienne, le réalisateur tamoul montre immédiatement qu’il sait comment s’adresser à un nouveau public. Il nous plonge ainsi dans un récit de justice et de vengeance qui rappellera aux nostalgiques le cinéma hindi des années 70 et 80, l’époque qui avait fait du grand Amitabh Bachchan l’incarnation même du héros en colère. Mais le style de mise en scène et l’ambition visuelle assument indéniablement un héritage kollywoodien.

Comme tout film masala qui se respecte, Jawan joue avec les genres. Plus qu’une simple formule appliquée de façon mécanique, Atlee pousse l’expérimentation à un niveau encore rarement atteint dans le cinéma indien. Son film est une course effrénée qui passe en un rien de temps d’un registre à l’autre, d’une esthétique à l’autre.

 

Jawan : photoPrête à tirer sur les sceptiques

 

Le long-métrage nous balade ainsi entre blockbuster d’action ultraviolent et romance naïve. Une séquence de drame familial apparaît pour être rapidement chassée par de la comédie, du polar ou encore du film de casse. Impossible de ranger cet objet insaisissable dans une case tant sa générosité à toute épreuve force le respect. D’autant que cette expérience chaotique parvient à ne jamais être décousue grâce à un sens aigu du montage et du découpage.

En cinq films à peine, Atlee s’est imposé comme un auteur incontournable dans le paysage du blockbuster indien. Avec Jawan, cet ancien élève du génie Shankar (2.0, I) retrouve ses obsessions habituelles : doubles rôles, retour en arrière qui change les enjeux du récit et rebondissements ininterrompus. Mais c’est du côté de l’exécution technique que le cinéaste semble avoir enfin trouvé sa voie. S’il assume toujours explicitement ses inspirations, notamment le cinéma de Lokesh Kanagaraj, il se forge une identité visuelle unique et extrêmement riche.

 

Jawan : photoUn spectacle explosif

 

TOUJOURS PLUS FORT

En quelques années à peine, les différentes industries indiennes ont produit des films d’action absolument fous. On pense évidemment au colossal RRR mais aussi à Vikram, Pushpa ou encore la franchise K.G.F. Face à de telles références, il semble difficile d’apporter un quelconque renouveau à la formule du masala d’action. C’est pourtant le défi impossible que Jawan remporte haut la main.

Pour se démarquer, Atlee décide de prendre tout ce qui fait la folie du blockbuster indien et de multiplier les codes par cent. Le héros doit faire une entrée marquante à l’écran ? Shahrukh Khan aura droit à une bonne dizaine d’introductions iconiques dans un seul film. La séquence avant l’entracte doit marquer les esprits ? Celle de Jawan ferait pâlir le grand final de n’importe quelle super-production. Chaque séquence d’action semble d’ailleurs réfléchie comme un final explosif.

 

Jawan : photoUne séquence qui transforme la salle de cinéma en stade

 

Si les séquences chorégraphiées se font plus rares en Inde avec des blockbusters occidentalisés comme Pathaan, Atlee revendique plus que jamais son identité indienne. Grâce au compositeur de génie Anirudh, Jawan bénéficie d’une bande-originale survoltée. Chaque chanson vient traduire avec force l’énergie ridiculement démesurée du film.

Force est d’avouer qu’avec ses trois heures de spectacle ininterrompu, Jawan souffre de quelques sorties de piste. Le dernier quart d’heure en particulier peine à conclure un récit si dense et semble hésiter sans trancher entre émotion et grand spectacle. Mais l’expérience est tellement intense que ça n’a plus la moindre importance à ce stade. À l’issue du film, les spectateurs quittent la salle en étant à la fois surexcités et épuisés, conscients d’avoir encaissé l’équivalent de 5 ou 6 blockbusters en une séance.

 

Jawan : photoNouveau look pour une nouvelle vie

 

J POUR JUSTICE

En plus de trente ans de carrière, Shahrukh Khan s’est forgé une filmographie passionnante dont le propos métatextuel peut évoquer une réponse indienne à la carrière de Tom Cruise. Jawan ne fait pas exception à la règle. Le film réagit notamment aux problèmes judiciaires de son fils Aryan Khan dans une relecture particulièrement intense de leur relation père-fils.

À une époque où les actrices servaient de décoration dans le cinéma indien, Shahrukh Khan a toujours tenu à donner des rôles puissants aux femmes qui ont traversé sa filmographie. Jawan semble être le pinacle de cet engagement. On y trouve un héros d’action constamment secouru et sauvé par les femmes qui l’entourent. Qu’il s’agisse de Nayanthara, de Deepika Padukone ou du gang de prisonnières, chaque actrice a son moment de gloire. Une prise de pouvoir féminine qui revigore complètement le cinéma indien.

 

Jawan : photoTout sauf une demoiselle en détresse

 

Mais plus important encore, le film est certainement le blockbuster le plus politique de ces dernières années. Atlee tire sur tout ce qui bouge en abordant de front les suicides des agriculteurs, la corruption des élites, les violences policières, le communautarisme ou encore l’état lamentable des hôpitaux publics. À l’heure où les films de propagande de l’extrême-droite hindoue fantasment une Inde parfaite, Jawan utilise le divertissement comme cheval de Troie pour remettre les pendules à l’heure.

Si le cinéma tamoul est resté plus libre politiquement parlant, cela fait déjà plusieurs années que Bollywood s’auto-censure pour éviter les polémiques, les interdictions et les attaques médiatiques. Aidé par un cinéaste confiant et intrépide, Shahrukh Khan rappelle que s’il est le roi de son industrie, c’est aussi parce qu’il n’a jamais cédé lâchement à la pression de l’époque. En résulte un geste courageux, utopiste et terriblement attachant. La joie indescriptible de voir une légende du cinéma triompher pour les bonnes raisons.

 

Jawan : photo

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