critique du retour en force de Michael Mann sur Amazon

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iron mann

Pourquoi aime-t-on autant le cinéma de Michael Mann ? Peut-être parce que ses effets de style marqués (teintes surréelles de la photographie, musique éthérée, ralentis…) servent une double connexion. Tout d’abord, la connexion du public avec l’univers du film, dans un acte de pur lâcher-prise atmosphérique. Qu’il s’agisse du grain de la pellicule ou du pixel du numérique, les images du cinéaste se mixent et mutent, lancées à pleine vitesse dans un flux permanent d’humains et de marchandises, matérielles et immatérielles. Les voitures foncent dans la nuit, l’argent passe des banques aux mains des braqueurs, et les data voguent de serveur en serveur.

Ce cinéma du passage, d’une fluidité enivrante, cotonneuse et onirique a été joliment décrit par Patrick H. Willems comme un cinéma “de la vibe”, où la sensorialité de l’instant l’emporte sur le récit. Depuis Miami Vice, Mann en a fait sa clé de voûte, au point de l’associer à des scénarios de plus en plus nébuleux. C’est néanmoins dans ces moments suspendus qu’il fascine le plus, et ça s’accorde avec l’autre connexion de ses longs-métrages : celle des personnages avec leur environnement. Ses héros espèrent tous un contrôle, une osmose avec leur monde, que ce soit le territoire urbain de Heat, Collateral et Hacker, ou la nature sauvage de la province de New York dans Le Dernier des Mohicans.

 

 

Ferrari débute pour sa part sur une suite de fondus sur des collines italiennes, avant que l’une d’entre elles ne transite vers le corps endormi d’Adam Driver (bien plus en retenue que dans le pathétique House of Gucci). L’ancien pilote de Formule 1 métaphorise tout un territoire, alors même que son nom dépasse sa simple personne. Dans la veine des protagonistes habituels du réalisateur, Enzo Ferrari est un maniaque obsessionnel qui donne au film son tempo par un montage vif lors d’une session de conduite où chaque cut accentue le passage des vitesses et la maîtrise du véhicule.

Pourtant, c’est l’une des rares scènes où le fondateur de la célèbre marque de voitures de sport sera au volant. Dans sa quête d’une fuite en avant (autre motif mannien), il est contraint à la fixité, limité à théoriser et ressentir à distance la vitesse de ses bolides et des pilotes qui les conduisent. C’est la première “fausse” déception du long-métrage, et son premier coup de génie. Loin du biopic exhaustif sans point de vue, Ferrari se concentre uniquement sur l’année 1957. L’usine de la firme existe depuis déjà dix ans, mais elle bat de l’aile financièrement. Pour cette raison, Enzo mise sur le prestige que pourrait lui rapporter la Mille Miglia, une course dangereuse de 1 000 miles au cœur de l’Italie.

 

Ferrari : photo, Adam Driver, Penelope CruzScènes de ménage

 

Dommage collatéral

À partir de là, la victoire de l’écurie Ferrari semble être l’horizon logique du film. Ce ne sera pas le cas. La ligne d’arrivée n’est qu’une formalité du hors-champ, preuve que Mann s’intéresse avant tout aux limites de son cadre, au fait que sa caméra ne capte finalement qu’un passage, qu’une bribe dans la vie de son protagoniste (on pourrait d’ailleurs reprocher une entrée en matière un poil expéditive). Or, c’est la meilleure manière de refléter les prisons qui l’entravent. Le passé comme le futur s’annoncent lourds à porter et sont tous deux enveloppés par un parfum de mort.

Le centre névralgique du long-métrage se trouve là : dans son étonnante morbidité, couperet qui ne cesse de s’abattre et de hanter ceux qui s’approchent de la figure du Commendatore Ferrari et de son nom. Rarement a-t-on vu Mann aussi sombre et funeste. Jusque-là, on pouvait voir dans ses “vibes” et dans sa peinture immersive des décors la sensation de mondes en constant changement, obligeant les personnages à s’y adapter. La fixité, la sédentarité recherchée par la plupart des héros manniens est un leurre, un piège éphémère que symbolise à merveille Laura (Penelope Cruz), épouse humiliée et résiliente.

 

Ferrari : photo, Patrick DempseySigne du temps qui passe : Docteur Mamour a désormais les cheveux blancs

 

On peut d’ailleurs y voir l’une des raisons qui font des véhicules un élément régulièrement sublimé par le cinéaste. Sauf que dans Ferrari, cette fascination de la mécanique, de la transcendance par la vitesse (magnifiquement représentée par des caméras embarquées, des travellings amples, ou même un effet de distorsion de l’espace merveilleux) est aussi synonyme de danger. Ces quelques secondes de dépassement de soi se payent par le prix fort : un retour des plus terribles au tangible du corps et à la physique terrestre.

L’immobilité, c’est la mort. Le mouvement, c’est la mort. Alors que faire ? Se laisser emporter dans le flux du temps ? Se laisser mourir avec le monde d’avant ? Ou prendre le risque d’aller trop loin ? Peut-être est-ce dû au fait que Michael Mann atteigne lui-même le crépuscule de sa vie, mais la pulsion de mort de Ferrari arbore quelque chose d’à la fois violent et apaisé. Dans cet ensemble de passages et de transitions des vies, la collision est inévitable.

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Ferrari : Affiche officielle

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