À 52 ans, Laurent Paquin a déjà dépassé l’âge que son père avait lorsqu’il est décédé. Pour le temps qui lui reste, celui qui présentera cette semaine son cinquième one-man-show aspire au bonheur. Exit donc cette mauvaise foi et ce cynisme qui l’ont trop longtemps dévoré de l’intérieur. Ce ressentiment, il le réserve dorénavant pour la scène, qui lui sert en quelque sorte de catharsis.
Déjà dans son précédent spectacle, Déplaire, Laurent Paquin puisait déjà dans toutes ces frustrations qui l’habitent, adoptant un ton plus cru sur scène, que le public ne lui connaissait pas jusqu’alors. Avec Crocodile distrait, il continue de creuser ce filon, poussant même le bouchon encore plus loin cette fois-ci. « Mon humour est de plus en plus cynique, mais moi, je le suis de moins en moins dans la vie. Le cynisme, et surtout la mauvaise foi, je trouve ça très drôle en humour. Mais, dans la vie, ce l’est beaucoup moins », résume Laurent Paquin.
Dans ce nouveau spectacle, il s’interroge beaucoup sur ce qu’il faut pour être heureux, non sans égratigner au passage les coachs de vie et autres cryptogourous qui font miroiter toutes sortes de recettes miracles pour y parvenir. Laurent Paquin croit plutôt que le bonheur, ce n’est pas si simple que ça, et, surtout, c’est très relatif.
« Le gars aux Olympiques qui a gagné la médaille de bronze a toujours l’air plus heureux que celui qui a gagné l’argent. Pourtant, la médaille d’argent, c’est mieux que la médaille de bronze. Mais celui qui arrive deuxième, il s’attendait à arriver premier. Alors que celui qui a gagné le bronze, il est juste content d’être sur le podium. Le bonheur, c’est ça. Tout est une question de perception », illustre-t-il.
Coeur d’enfant
Le clown triste, Laurent Paquin l’a souvent été. Il n’a pas le bonheur facile, mais il croit s’en approcher aujourd’hui aux côtés de la femme avec qui il partage sa vie depuis une vingtaine d’années, et leurs deux enfants. Le premier a été diagnostiqué à l’âge de trois ans avec un trouble du spectre de l’autisme, la seconde avec d’importants problèmes d’apprentissage. Autant d’épreuves que la vie lui envoie, mais Laurent Paquin refuse de se laisser abattre.
« C’est sûr que ça aurait été plus facile d’avoir deux enfants qui terminent leur secondaire en cinq ans, qui ont un parcours normal. Mais, que veux-tu, c’est ça la vie. Moi, je suis très fier de mes enfants et de là où ils sont rendus », soutient-il avec une émotion manifeste.
La paternité a visiblement attendri Laurent Paquin, qui fera paraître en même temps que son nouveau spectacle un premier livre pour enfants. L’ouvrage, qui s’appelle aussi Le crocodile distrait, a été illustré par Éric Godin, caricaturiste au Devoir. Le livre s’inspire de la première blague que Laurent Paquin a inventée quand il était enfant.
Mais n’allez pas croire que l’humoriste est maintenant l’une de ces personnalités publiques gnangnans qui enchaînent banalités et insignifiances en entrevue. Laurent Paquin reste cet homme de convictions capable de quelques coups de gueule. Le même qui, durant le printemps étable, s’était affiché aux côtés des étudiants qui portaient le carré rouge.
« Je me considère toujours comme quelqu’un de gauche. Mais, plus je vieillis, plus je comprends que quelqu’un qui s’est fait dire toute sa vie qu’il ne fallait pas être tapette, à coups de grandes claques sur la gueule, soit un peu “fucké”. Ça se peut qu’il ne réagisse pas bien en voyant un gars avec du Cutex à la télé. Ça ne veut pas dire qu’il a raison. Évidemment qu’il a tort. Il faut lui dire d’évoluer. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut se mettre à le traiter de gros crisse de réac », tempère-t-il.
Libre-penseur
L’humoriste déteste les chambres d’écho et aurait horreur d’être considéré comme un moralisateur. Il souhaite continuer de se produire devant le plus grand nombre possible, dont ceux qui ne pensent pas comme lui. S’ils changent d’avis grâce à ce spectacle, tant mieux. Sinon, tant pis ; Laurent Paquin se dit qu’il les aura au moins fait rire. Son humour n’a pas la prétention de convaincre qui que ce soit.
« Je n’aime pas les débats, j’aime les discussions. Dans un débat, tout le monde reste campé dans sa position. C’est stérile. Mais une discussion, ça permet d’échanger, d’en apprendre. Et ça se peut qu’à la fin, tu réalises que ce que l’autre dit, ça a du bon sens. Moi, si on m’invite à la télé dans un débat contre Richard Martineau, on ne sera d’accord sur rien. Mais si on va prendre un verre ensemble, je suis sûr qu’on peut bien s’entendre et trouver des points d’accord », raisonne l’humoriste, qui a tenu l’affiche tout l’été dans la pièce Le dîner de cons.
Approchant les 30 ans de carrière, Laurent Paquin peut bien se permettre de dire ce qu’il pense. Sur l’indépendance par exemple, pourtant loin d’être le sujet de l’heure au Québec. « Je suis souverainiste autant qu’avant, sinon plus », prend-il même la peine de préciser, inquiet face au déclin du français. « Plus la mondialisation avance, plus il faut se définir en tant que peuple autonome. Il y a des gens qui disent que la souveraineté, c’est se fermer au reste du monde, mais c’est précisément le contraire. La souveraineté, de la manière que je la vois, c’est justement une façon d’exister ailleurs sur la planète. »
Jamais, par contre, vous ne le verrez militer, encore moins se présenter, pour le Parti québécois. Ni pour un autre parti d’ailleurs, lui qui fuit les militants de tout acabit.
« Le militant, c’est justement celui qui préfère le débat, mais qui est fermé à la discussion. Le militant veut gagner quelque chose. Il va être fâché que sa cause s’améliore, parce qu’il va se dire que ça lui enlève des arguments. Le militant syndicaliste va être en crisse si le sort des travailleurs s’améliore parce que ça ne va pas dans le sens de ses intérêts. Le militant souverainiste, c’est celui qui ne veut pas que le français progresse parce que ça nuirait à sa quête. Mais moi, si la situation du français s’améliore, je serais juste heureux », glisse l’humoriste, trop libre-penseur pour se cantonner à une cause.