Personne ne conteste la détresse du patient. Mais beaucoup doutent du remède que le ministre de la Santé propose, par sa tentaculaire réforme, pour requinquer notre système de santé. Christian Dubé n’en est pas à sa première fronde. Depuis le dépôt du projet de loi 15, en mars dernier, la grogne a pris de multiples formes. Reste que le tir groupé de six anciens premiers ministres est d’une autre eau.
Sa charge symbolique ne fait pas qu’ébranler les fondations de l’édifice, elle éclabousse jusqu’au premier ministre et mine la confiance du public. Casser un moule comme celui de la santé, c’est se lancer tête baissée dans les douze travaux d’Hercule. Ceux qui s’y sont frottés ont tous plus ou moins échoué en chemin, terrassés par l’hydre bureaucratique, le cerbère corporatif ou le lion syndical, entre autres périls. Il faut saluer le courage du gouvernement caquiste de retourner dans l’arène de manière aussi résolue.
Le réseau a besoin de soins urgents, mais aussi d’être bousculé. Une foule de jeux de pouvoir et de mécanismes iniques doivent être défaits. Pour délier les mains sur le terrain et ramener le patient au centre des préoccupations, M. Dubé veut décentraliser la bête en nommant des directeurs dans chacun des hôpitaux, CHSLD et autres entités. Mais puisqu’au bout du compte, Santé Québec deviendra l’employeur unique des 350 000 employés du réseau, c’est un peu de la poudre aux yeux.
Il y a un mot pour décrire l’effet qu’aura cette structure sur le réseau décentralisé dont rêve le ministre Dubé, et c’est bien « centralisation ». C’est aussi l’avis de la bande des six, qui calcule qu’avec des conseils partout et des décideurs nulle part, le risque qu’on se retrouve avec un contre-pouvoir émasculé est réel.
Il est difficile de trouver des éléments qui fonctionnent dans le réseau de la santé. L’accès à la première ligne est devenu un pur cauchemar duquel se tirer semble de plus en plus ardu, à moins de se résigner à payer, ce que font de plus en plus de Québécois, excédés d’ailleurs.
C’est un peu mieux pour les soins secondaires, principalement donnés en milieu hospitalier. Ça l’est encore plus là où se pratiquent les soins les plus avancés, soit dans les fameux instituts de recherche et centres hospitaliers universitaires, pour lesquels les six ex-premiers ministres sont montés au front. Ils ne se trompent pas en faisant valoir que ces établissements de pointe — des fleurons dont nous pouvons être fiers — excellent et font montre d’un esprit d’initiative qui risque de s’éteindre si on les prive de l’oxygène que procure une pleine autonomie institutionnelle. On est moins certains de la solidité de leurs arguments entourant le sort des puissantes fondations privées qui ont de tout temps, et sous toutes les bannières politiques, eu l’oreille attentive et empressée des hautes sphères. Mais les caquistes ont aussi raison de vouloir mettre fin à la gestion en vase clos et couper dans les privilèges de ces joueurs d’élite dont les appétits ont un effet appauvrissant sur le reste du réseau.
Le public, surtout, a besoin de croire que le patient peut encore être sauvé. À tous, il est sans doute bon à ce stade de rappeler les mots de l’alchimiste Paracelse : « Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison. » Il est encore temps de rajuster la dose.