Déni démocratique | Le Devoir

Vexé de voir l’intégrité de son parti et celle de ses députés contestée, le chef caquiste François Legault n’a pu s’empêcher, en dépit de ses plus belles résolutions de nouvelle année, de riposter une fois de plus hâtivement par une fausse bonne idée. Aux doutes éthiques soulevés par les invitations distribuées par ses élus aux cocktails de financement de leurs collègues ministres, le premier ministre a répliqué en proposant un coup de massue qui, s’il se formalisait, menacerait la vitalité du dialogue démocratique.

Les courriels et textos de députés ou d’employés caquistes, convoquant des maires à venir rencontrer au prix d’un don de 100 $ des membres du conseil des ministres, étaient d’une très grande maladresse. Les gestes critiqués n’ont cependant rien d’illégal et ne suggèrent pas de passe-droits sectoriels. Quant à leur respect des règles déontologiques, il reviendra à la commissaire à l’éthique, qui a rejeté deux des quatre plaintes logées par Québec solidaire, de trancher.

François Legault n’a cependant pas voulu ainsi patienter. Désespéré de clore rapidement le dossier, il s’est plutôt empressé de mettre un terme à tout financement populaire pour sa propre formation politique, en pressant de surcroît les partis d’opposition de lui emboîter le pas. L’initiative avait en outre le bénéfice, pour la Coalition avenir Québec (CAQ), de menacer ses rivaux de perdre 13 % (pour Québec solidaire et le Parti libéral du Québec, en 2023) ou 29 % (au Parti québécois) de leur financement, s’ils devaient eux aussi renoncer aux contributions privées et ne s’en remettre qu’aux allocations électorales de l’État québécois.

La clairvoyance des partis d’opposition n’est certainement pas dépourvue elle non plus de leur propre intérêt partisan. Mais leur rejet de l’idée caquiste préserve nonobstant, et heureusement, ce second pan du financement politique primordial à l’engagement démocratique. Un avis que partageait la Coalition avenir Québec… jusqu’à la semaine dernière.

Car il y a quelques mois, la CAQ envisageait, de concert avec les principaux partis, de hausser le plafond des contributions électorales à 200 $. La veille du pavé dans la mare jeté par son patron, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, — qui avait parrainé la dernière réforme de la Loi électorale, ayant abaissé ce seuil de 1000 $ à 100 $ —, avait même rappelé que son ancien gouvernement péquiste avait rejeté l’hypothèse d’éliminer complètement le financement populaire au profit d’un financement exclusivement public. « Pour faire en sorte que les citoyens puissent donner leur appui à une idée, à un parti », répétait-il encore la semaine dernière. La volte-face de son nouveau gouvernement s’est faite moins de 24 heures plus tard. Cette nécessaire participation citoyenne n’a pas soudainement disparu. Mais le désarroi du gouvernement caquiste de se défaire de ces histoires de sollicitations mal ciblées l’a visiblement supplantée.

Or, interdire tout financement populaire contreviendrait à la liberté d’expression et menacerait à l’avenir l’émergence de nouveaux partis politiques. Une telle révolution du système de financement politique québécois romprait surtout ce lien entre les électeurs et leur formation favorite, qui force ces dernières à tenir compte de l’opinion des premiers. L’évolution de l’humeur populaire, entre les cycles électoraux, perdrait en outre toute causalité sur les finances des partis, lesquels demeureraient entièrement tributaires des suffrages recueillis des années plus tôt. Les caisses électorales de partis politiques devraient au contraire refléter leur faveur populaire, puisque celle-ci, on le constate au Québec comme au fédéral, peut fluctuer rapidement.

Le contraire n’encouragerait en rien la participation citoyenne, laquelle accuse déjà un trop fort déclin. Le taux de participation électorale est en décroissance constante depuis 1976, lorsqu’un record de 85 % d’électeurs se sont exprimés. Lors des deux derniers scrutins, ce taux oscillait désormais autour de 66 %. Le militantisme au sein de formations politiques est également en régression, tout comme le nombre de donateurs les appuyant monétairement. 

La contre-proposition des péquistes et des solidaires, d’interdire toute activité de financement aux membres du Conseil des ministres, n’est quant à elle que fausse vertu. L’influence politique, insidieuse, ne se restreint pas à un tel cadre. Une tentative de collusion peut tout autant cibler un autre élu, un employé politique, ou même les membres d’un parti d’opposition en voie d’être porté au pouvoir.

Le financement étatique a été aboli au fédéral à simple majorité parlementaire par l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper. Si les instances des partis politiques du Québec souhaitent revoir à nouveau les règles de financement électoral, qu’elles le fassent dans la concertation, de pair avec le Directeur général des élections. Et qu’elles s’y attellent en quête d’une plus grande participation citoyenne et d’un réel consensus, plutôt que dans l’espoir à coutre vue de remporter quelques manches dans l’arène partisane.

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