« Les gens qui vivent à Kanata ou près de chez nous ne veulent plus travailler dans les services de garde. » Désintéressés par le faible salaire et les conditions de travail, les éducateurs se font rares en Ontario. Il y a cinq ans, Johanne Lafleur a changé sa stratégie de recrutement, et s’est tournée vers les nouveaux arrivants francophones. Aujourd’hui, « quasiment 85 % » de ses employés sont issus de l’immigration.
« Moi, je suis contente de recevoir des gens d’ailleurs, parce que sinon, je n’aurais personne », lance la directrice générale du centre éducatif Coeur des jeunes. L’organisme à but non lucratif offre ses services en français à Kanata, dans la banlieue d’Ottawa, et à Arnprior et Pembroke, deux municipalités de la vallée de l’Outaouais, en Ontario.
« Je suis venu, j’avais besoin d’un travail, ils m’ont donné cette chance-là », raconte Nesty Bouloukoue, embauché il y a bientôt un an, mais au Canada depuis 2017. Arrivé de France, il joue de sa méconnaissance de l’anglais pour « motiver » les enfants à parler français, car l’anglais est parfois plus populaire pour communiquer entre élèves.
Avoir recours à des immigrants dans les services de garde francophones est fréquent en Ontario, particulièrement « dans la grande région d’Ottawa et de Toronto », affirme l’Association francophone à l’éducation des services à l’enfance de l’Ontario (AFESEO). L’AFESEO mise d’ailleurs « depuis deux ans » sur le « recrutement à l’international », qu’elle considère comme la « seule façon de pourvoir [ses] postes relativement rapidement », témoigne la directrice Martine St-Onge.
Elle estime toutefois que la pratique est moins répandue dans les régions plus rurales. Mme Lafleur note d’ailleurs que dans son centre de Pembroke, la plupart des employés sont « de la région », car l’établissement est trop loin pour les immigrants, suppose-t-elle.
Pas une baguette magique
Si s’appuyer sur l’immigration permet de pourvoir les postes, la méthode n’a pas l’effet d’une « baguette magique », prévient Martine St-Onge. D’abord, leurs diplômes sont rarement reconnus par l’Ordre des éducatrices et des éducateurs de la petite enfance, explique la gestionnaire.
« L’autre défi qui émerge quand ils arrivent est que les façons de faire, les valeurs, les croyances, tout ce qui encadre l’éducation des jeunes enfants, parfois, ne concordent pas [avec] les attentes d’ici », ce qui peut demander « beaucoup plus d’énergie pour accueillir et intégrer professionnellement ces gens-là ».
Johanne Lafleur dit n’avoir jamais dû gérer ce genre de conflit. Elle propose d’ailleurs à ses employés une formation d’un mois à l’Institut canadien pour la résolution des conflits, dont elle est la directrice du conseil d’administration.
Une formation à double tranchant
Par contre, Mme St-Onge et Mme Lafleur s’accordent sur la difficulté d’assurer la rétention des employés, une fois qu’ils sont formés. Au centre éducatif Coeur des jeunes, les employés sont payés « un petit peu plus cher que le salaire minimum », et rapidement encouragés « à prendre une formation » pour être mieux rémunérés, indique Mme Lafleur, mais aussi pour assurer la présence d’au moins un éducateur qualifié dans chaque groupe, comme l’exige la loi.
Mais une fois formés, les éducateurs se tournent souvent vers le Conseil scolaire, où ils seront syndiqués. « C’est certain qu’ils quittent, parce qu’ils vont recevoir au moins 5 dollars de plus de l’heure. J’en perds au moins quatre chaque année », déplore Mme Lafleur, qui dit devoir jongler avec le budget d’un OBNL.
Malheureusement, ce n’est pas payé du tout pour toute l’énergie qu’on donne.
Employée depuis bientôt sept ans au centre éducatif Coeur des jeunes, Micheline Aoun a plusieurs fois hésité à rejoindre les rangs du Conseil scolaire, mais elle n’a « pas osé », ne voulant pas perdre son emploi permanent à Kanata, et parce que le lieu de travail aurait été trop éloigné de son domicile. Elle affirme par contre voir chaque année plusieurs collègues partir.
Rencontrée à l’école élémentaire catholique Saint-Rémi, à Kanata, Yamilee Durandisse déplore elle aussi un faible salaire. « Malheureusement, ce n’est pas payé du tout pour toute l’énergie qu’on donne. Tu rentres chez toi, ton corps t’a lâché, tu ne te sens plus toi-même parce que tu as tout donné. » Comme d’autres, elle a « plusieurs fois » pensé à quitter le domaine, mais n’a, pour l’instant, jamais sauté le pas.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.