Des idées en bataille au colloque de l’UQAM Étudier la guerre

Visiter l’Ukraine et la Crimée en ce moment, ça vous dirait ? Ou aller voir les ruines de Gaza et les lieux des massacres du 7 octobre des jeunes de la rave Supernova près du kibboutz Reïm, dans le désert du Néguev ?

Le site Visit Ukraine, soutenu par plusieurs services gouvernementaux, a fait la promotion de terrains de camping dans les Carpates l’été dernier en assurant un séjour « parfaitement sûr », vidéo promotionnelle à l’appui. Des touristes russes continuent de se détendre dans les stations balnéaires de la Crimée. Et pour ce qui est des territoires palestiniens et israéliens, si la tendance se maintient, ils devraient eux aussi recevoir des visiteurs bien assez vite.

La pratique du tourisme non pas seulement après, mais pendant les guerres est tellement répandue qu’elle porte plusieurs noms : tourisme noir, ou sombre, ou morbide, ou macabre. Les plus savants parlent de thanatourisme ou de nécrotourisme.

Le nom et la chose ont été décortiqués cette semaine par deux universitaires français, Yves-Marie Evanno (à distance) et Johan Vincent dans le cadre du colloque intitulé Étudier la guerre, organisé cette semaine à l’UQAM. La rencontre a réuni une quarantaine de conférenciers d’ici et de l’étranger, surtout de la France, mais aussi de l’Allemagne, de la Belgique, de la Suisse et de la Grande-Bretagne.

« C’est un colloque historiographique et épistémologique, explique le professeur Benjamin Deruelle, directeur du Groupe de recherche en histoire de la guerre de l’UQAM et organisateur des échanges. Nous faisons le point sur des recherches récentes, sur la manière dont on a étudié cet objet depuis les années 1950. »

Cette date marque une rupture dans la manière de concevoir la guerre. Le professeur explique qu’un mouvement de rejet de l’histoire des conflits s’est développé en Allemagne comme en France après la Deuxième Guerre mondiale. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont alors au contraire amorcé un renouvellement profond du secteur d’étude, qui se poursuit maintenant partout, et souvent en anglais.

« Les historiographies se sont ensuite mélangées, les idées ont fusé, et dans les années 1970, 1980 et 1990, beaucoup de choses ont été faites. Les nouveaux conflits majeurs des années 2000 ont aussi influencé les études spécialisées. Il nous a donc semblé que c’était le moment de faire un bilan d’étape, de regarder un petit peu en arrière, de voir ce qui a été fait et comment ça a été fait et quelles nouvelles perspectives s’offrent maintenant à nous. »

Le duo Evanno-Vincent, lui, fouille donc depuis des années le créneau très original du tourisme noir pendant les conflits, et non après coup. Il a dirigé l’ouvrage collectif Tourisme et Grande Guerre paru en 2019, qui sera bientôt suivi d’un essai sur les habitudes touristiques entre 1939 et 1945.

« Quand on travaille sur cette thématique, une certaine crispation se pointe », a dit d’entrée de jeu M. Vincent en démontrant ensuite la richesse du sujet. « Le plus souvent, c’est ce que fait la guerre au tourisme qui est abordé, et non pas tant que ça ce que le tourisme fait à la guerre. »

Dès 1870, des Parisiens grimpent sur des collines pour voir le siège de la capitale par les troupes allemandes. Michelin publie dès 1917 des cartes pour visiter des champs de bataille de la tuerie qui se poursuit. Le sujet enténébré moralement englobe aussi le cas des soldats allemands planqués en France après l’invasion de l’URSS ou des GI du Vietnam en permission.

« Pour le conflit israélo-palestinien, on est dans une guerre de mouvement, pour l’instant, qui n’incorpore pas encore la dimension touristique », a dit M. Vincent, sans cynisme, en terminant sa présentation. Il a aussi rappelé que le tourisme se pratique déjà aux abords des colonies israéliennes en Cisjordanie

Les imaginaires de la chose militaire

Le programme foisonnait de présentations allant dans tous les sens, couvrant toutes les régions, traversant toutes les périodes. Des présentations ont traité de la préhistoire, d’autres de la situation au XXIe siècle, avec beaucoup d’ancrages dans l’Antiquité romaine.

Dans la même séance lundi, le chercheur français François Porte s’interrogeait sur « la guerre antique comme expérience intérieure » en explorant les apports de la psychiatrie à l’étude des conflits de l’Antiquité, tandis que son collègue Gaspard Delon étudiait « les guerres à l’écran » dans les productions contemporaines. La journée s’est d’ailleurs terminée par une projection du film Il faut sauver le soldat Ryan, présentée par le professeur Delon.

« Le bénéfice de ce genre d’événement, c’est justement que les gens se parlent au-delà des limites chronologiques et géographiques, dit l’organisateur Deruelle. L’idée, c’est de s’inspirer. L’idée, c’est de voir quelles sont les perspectives, dans quel champ ces perspectives se développent, comment elles se développent. »

Lui-même travaille à partir de l’anthropologie pour comprendre comment les imaginaires structurent la manière de percevoir le monde et influencent la manière de concevoir la réalité guerrière. Il s’intéresse par exemple à la façon dont l’imaginaire chevaleresque structure les rapports sociaux, et en particulier les relations sociales qui se nouent au coeur des batailles et des actions violentes. Ou encore à la façon dont l’altérité sociale, sexuelle ou ethnique influence la manière dont les combattants se comportent les uns avec les autres.

Et maintenant ? Les imaginaires contemporains, les courants idéologiques de gauche comme de droite pèsent sur les études sur l’Antiquité ou le Moyen Âge. Est-ce aussi le cas dans l’étude des conflits plus récents ? Celle-ci est-elle, par exemple, marquée par de nouvelles perspectives féministes ou queers ?

« Je ne pense pas que ce soit des considérations liées aux EDI [égalité, diversité, inclusion] ou aux wokes qui créent de nouvelles perspectives, dit le directeur du colloque. Il y a des femmes qui s’intéressent à la guerre et des femmes qui sont présentes à notre colloque et qui ne s’intéressent pas seulement à l’histoire des femmes dans les conflits. Et puis, il y a des hommes qui travaillent sur les femmes en guerre. »

Il rappelle que le Français Fabrice Virgili est reconnu comme l’un des plus grands spécialistes du viol dans les conflits. « Si aujourd’hui on a plus de femmes dans ce champ historiographique, ce n’est pas lié à une volonté d’inclusion. C’est simplement lié à l’intérêt que les femmes portent aujourd’hui à ce monde-là, qui est plus développé qu’il y a une quarantaine d’années. »

Un exemple. Les chercheuses Marie Derrien (Université de Lille) et Fanny Le Bonhomme (Université de Poitiers) étudient « la guerre par le prisme de la folie ». Longtemps étanches et mutuellement exclusives, l’histoire de la médecine psychiatrique et l’ancienne histoire militaire ont commencé à se croiser il y a une quinzaine d’années, notamment à la faveur de l’ouverture d’archives privées ou médicales en Allemagne comme en France.

« L’archive psychiatrique permet de mesurer l’ombre de la guerre sur les individus et leurs proches sur une longue durée », a résumé Mme Derrien. Elle a cité le cas des innombrables Allemandes violées à la fin de la Deuxième Guerre mondiale par des soldats alliés, encore traumatisées vingt ans après les crimes, selon les rapports cliniques. La démonstration a multiplié les exemples de soldats ou d’anciens soldats souffrant de chocs post-traumatiques.

Les deux chercheuses se penchent maintenant sur les répercussions psychiques du massacre d’Ouradour-sur-Glane en juin 1944, y compris par une « transmission radioactive » de génération en génération. Les ruines du village martyr et le Centre de la mémoire l’Ouradour sont des lieux très visités par le tourisme noir depuis des années…

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