Des inédits de Rudolf Serkin refont surface

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Deutsche Grammophon (DG) vient de publier Rudolf Serkin – The Lost Tapes, deux inédits de la fin de la vie du pianiste américain. La trouvaille n’est pas anecdotique, puisqu’il s’agit des sonates « Waldstein » et « Appassionata » de Beethoven et que la parution est magnifique. 

Comme dans le cas des inédits de Jessye Norman qui ont refait surface en mars dernier, il est toujours intrigant de voir émerger des enregistrements bien après la mort d’un artiste alors que ce dernier n’a plus droit de veto. Dans le cas des Unreleased Masters de Jessye Norman, une parution qui nous avait amenés à nous poser des questions morales sur ce type de réédition et à rappeler notamment les disques édités après la mort de Sergiu Celibidache, un artiste qui s’opposait au processus de pérennisation et de reproduction, il s’agissait de trois CD d’un intérêt très variable, culminant avec un concert des Wesendonck-Lieder de Wagner. 

S’agissant de Rudolf Serkin, Deutsche Grammophon évoque le fait qu’il est le premier artiste faisant l’objet d’une recherche de bandes non publiées des grands noms de son catalogue : « Dans le cadre de la première d’une nouvelle série fascinante — The Lost Tapes — l’équipe du répertoire stratégique (anciennement connue sous les noms d’équipe du patrimoine et, auparavant, d’équipe du catalogue) publie les derniers enregistrements Beethoven de Rudolf Serkin » : les sonates « Waldstein » (mars 1986) et « Appassionata » (mai-juin 1989).

Art concentré

 

L’idée n’est pas nouvelle. RCA avait fait cela il y a une vingtaine d’années avec une série intitulée Rediscovered. Il y avait des volumes Horowitz, Heifetz, Kapell, Bolet, Richter, Perlman, Leontyne Price et Jussi Björling, souvent puisés dans des concerts au Carnegie Hall et sans révélations transcendantes.

Rudolf Serkin (1903-1991) a fait sa carrière discographique chez Columbia. Il a ensuite été engagé tardivement par DG, où il a enregistré notamment quinze des concertos pour piano de Mozart avec Claudio Abbado et les sonates pour violoncelle et piano de Brahms avec Rostropovitch. Il y eut un CD Beethoven tardif : les trois dernières sonates, accueillies avec révérence. Il s’agissait d’un concert viennois d’octobre 1987, aussi publié en vidéo (LaserDisc à l’époque).

Ces Opus 109, 110 et 111 n’étaient pas d’airain, mais n’en étaient pas moins touchants par une forme de simplicité, d’autant qu’à 85 ans, le contrôle du toucher dans les nuances pianissimo avait diminué. Et, finalement, il n’y avait pas tant d’erreurs ou de raccourcis techniques. Dans le cas présent, nous sommes en studio un an auparavant pour la « Waldstein » et deux ans après pour l’« Appassionata », le dernier enregistrement de Serkin.

La non-publication s’explique par le fait que Serkin était trop malade pour donner son accord final aux enregistrements, alors même que la production du CD était envisagée et qu’une pochette avait déjà été conçue. L’idée de publier ces documents aujourd’hui a été approuvée par Judith Serkin, fille de Rudolf, elle-même musicienne, qui écrit : « Mon père est décédé avant de pouvoir confirmer la sortie de ce disque. Il n’est pas parfait. Néanmoins, je pense qu’il mérite vraiment d’être partagé, car il reflète de manière étonnante la compréhension profonde de Beethoven — et la sienne ! — sur ce que signifie être humain. »

La chose est bien résumée. Les imperfections sont mineures. Il y a des extinctions de notes un peu baveuses avec la pédale dans le 1er mouvement de l’« Appassionata » et il manque au 3mouvement le côté implacable d’Ivan Moravec. Mais le sel est ailleurs : que de musique, que de vraie force (contenue et exprimée), quelle science du piano et de la gestion du temps. Les 2e et 3e mouvements de la « Waldstein » sont ceux gravés par les géants avec une respiration organique et un chant infini, avec une intelligence parfaite de la résonance. Puissance, creusement et sens profond irradient de partout dans ces deux sonates dont la redécouverte est une bénédiction.

The Lost Tapes

Beethoven: Sonates pour piano nos 21 et 23. Rudolf Serkin. DG 4864935 (CD et téléchargement).

À voir en vidéo

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