Des pharmaciens qui ont été condamnés par leur ordre professionnel pour avoir « obtenu » de la clientèle de programmes de médicaments de spécialité financés par les géants de la pharmaceutique ont récemment créé un regroupement pour promouvoir leur « savoir-faire particulier » dans le secteur des médicaments de spécialité, a constaté Le Devoir.
Une nouvelle société a discrètement été enregistrée, en septembre, au registre des entreprises du Québec : le Regroupement des pharmaciens spécialisés du Québec (RPSQ). Cet organisme sans but lucratif vise à « promouvoir les pratiques spécialisées afin d’optimiser l’accès au traitement et aux soins pharmaceutiques adaptés aux besoins des patients sous thérapie complexe ».
Les pharmaciens qui siègent au conseil d’administration ont refusé les demandes d’entrevue du Devoir. Par courriel, le RPSQ a expliqué que les pharmacies qu’il représente oeuvrent dans les médicaments de spécialité — molécules onéreuses traitant des maladies complexes — et que de ce fait elles ont développé un « savoir-faire particulier ».
« Elles offrent un accompagnement personnalisé visant à aider les patients à accéder à une couverture financière appropriée, une formation pour l’administration des traitements et un suivi pharmaceutique proactif », soutient le RPSQ, jugeant utile de se regrouper pour faire connaître leurs pratiques et réalités auprès du gouvernement du Québec et de l’industrie.
Or, les pharmaciens à l’origine de la démarche sont bien connus de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). Quatre des cinq administrateurs — Michael Assaraf, Martin Gilbert, Christine Larivière, Daniel Vermette — ont été condamnés par leur ordre professionnel au cours des trois dernières années pour des actes « dérogatoire à la dignité de la profession ». Ceux-ci ont obtenu des patients de programmes de soutien aux patients (PSP), selon les jugements de l’OPQ.
Un PSP est un programme clé en main, financé par des géants de l’industrie pharmaceutique. Il évolue en marge des réseaux de santé publics et offre un service d’accompagnement des patients tout au long de leur thérapie. Comme les pharmaciens établissent leurs honoraires, en partie, en fonction du coût des médicaments — environ 10 % du prix —, la clientèle d’un PSP se révèle lucrative. Le coût annuel des médicaments de spécialité dépasse généralement 10 000 $ par patient.
Le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), Benoît Morin, n’était pas au courant de la création de ce regroupement. Il n’est pas surpris de l’initiative dans la mesure où « leur modèle d’affaires est mis à mal » par de récents jugements de l’Ordre des pharmaciens du Québec.
En moins de trois ans, huit pharmaciens ont été condamnés par leur ordre professionnel pour avoir obtenu des clients participant à des programmes de soutien aux patients (PSP), révélait une enquête du Devoir en mai dernier.
Benoît Morin soulève qu’outre les questionnements d’ordre déontologique, le modèle d’affaires de ces pharmacies freine la démocratisation de l’accès aux médicaments de spécialité et aux médicaments complexes : « Ça renforce l’idée que ces médicaments doivent être desservis par des pharmacies particulières alors que les pharmacies communautaires peuvent le faire. »
« À un moment donné, est-ce qu’un patient qui a 18 produits de spécialité va devoir faire affaire avec 18 pharmacies ? Est-ce que c’est ça la solution ? C’est sûr que non ! Ça n’a pas de sens », lance-t-il.