Des universités québécoises dans le rouge, des choix qui soulèvent des inquiétudes

Au moment où les universités du Québec évaluent leurs besoins financiers à des centaines de millions de dollars, un frein dans les embauches, le recours accru aux cours entièrement à distance et l’alourdissement de la charge de travail sont quelques-unes des questions qui préoccupent plusieurs professeurs et chargés de cours joints par Le Devoir.

Les défis financiers des universités québécoises sont majeurs. C’est notamment le cas de l’Université Concordia, qui évalue actuellement son manque à gagner à 35 millions de dollars, contre 14,3 millions il y a à peine deux ans. Une situation qui est principalement attribuable à la baisse des inscriptions, car l’université tire 87 % de ses revenus des droits de scolarité et des subventions gouvernementales connexes. En 2019, ce déficit était de 8,9 millions. 

Dans ce contexte, l’établissement anglophone a gelé le salaire des membres de la direction et a appliqué un gel des embauches de personnel non enseignant, « sauf pour les postes essentiels à [sa] mission ». Des mesures qui inquiètent l’Association des professeurs de l’Université Concordia. 

« Jusqu’à présent, la direction de l’université nous a informés d’un gel salarial pour le personnel de la haute direction. Il a également été demandé aux directeurs de département d’abandonner les cours [auxquels il y a sous-inscription] afin de limiter les coûts, ce qui nous préoccupe beaucoup », écrit le syndicat dans un courriel au Devoir. Il dit notamment craindre que l’abandon par l’université de certains cours moins prisés mine « la cohérence des programmes et [ait] un impact négatif sur la charge de travail des professeurs ».  

À l’Université McGill, qui n’a pas répondu aux questions du Devoir, un gel des embauches qui vise le personnel tant enseignant qu’administratif a été annoncé le 1er décembre dernier. Mario Roy, président de l’Association des étudiants diplômés employés de McGill, qui représente les auxiliaires d’enseignement de l’établissement, s’inquiète que ces restrictions budgétaires viennent à terme alourdir la charge de travail de ses membres, dont le syndicat se bat actuellement pour alléger les conditions de travail et améliorer les salaires. « Avec les coupes budgétaires annoncées, on craint que les problèmes que l’on vit déjà s’accentuent. » 

D’importants besoins

L’Université du Québec à Montréal (UQAM) évalue pour sa part son manque à gagner annuel à 50 millions de dollars. Une somme qui atteint 104 millions du côté de l’Université Laval, laquelle s’attend tout de même à être en mesure d’équilibrer son budget cette année, après avoir poursuivi l’an dernier des « travaux d’actualisation de son cadre budgétaire et de gestion intégrée des risques ». Ainsi, « nous considérons que nous manquons indéniablement de moyens financiers pour développer notre université », confirme le porte-parole Simon La Terreur. 

L’Université de Sherbrooke, quant à elle, note que l’équilibre de son budget d’une année à l’autre « se fait nécessairement au prix de sous-investissements dans les infrastructures technologiques et dans les mesures de soutien à l’enseignement et à la recherche » en raison du « sous-financement » par l’État. « À long terme, ces sous-investissements ont un impact important sur nos établissements. »

La présidente de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, Madeleine Pastinelli, constate que les professeurs doivent souvent s’occuper de tâches administratives qui ne leur incombaient pas auparavant quand les universités limitent l’embauche de différents types d’employés. « La surcharge de travail des professeurs est devenue intenable », dénonce-t-elle. 

Les universités offrent en parallèle de plus en plus de cours en ligne, qui permettent l’inscription de plus d’étudiants malgré un nombre limité de professeurs. L’Université Laval a ainsi vu le nombre de ses cours offerts entièrement à distance passer de 393 à 893 entre l’automne 2019 et l’automne 2023, et la part d’étudiants inscrits uniquement à ce type de cours, de 18 % à 29 %. À l’Université de Montréal, ce sont 6 % des cours qui sont uniquement offerts en ligne, contre 2 % il y a quatre ans, tandis qu’à l’Université de Sherbrooke, le pourcentage d’étudiants inscrits à des cours à distance a doublé depuis 2019 et ainsi atteint 8,2 % l’automne dernier.

L’UQAM indique que « le quart de [ses] groupes-cours revêtent une composante à distance, hybride ou comodale ». Une situation qui préoccupe Olivier Aubry, président du Syndicat des professeures et professeurs enseignants de l’UQAM, qui représente les chargés de cours de l’établissement. « Si on a moins de revenus, bien souvent, on va faire des coupes dans l’enveloppe de charge ou dans les services. C’est là où ça devient plus compliqué pour nous, si on coupe certains cours ou qu’on a tendance à augmenter le nombre d’étudiants par cours », notamment en offrant plus de formations à distance, relève M. Aubry. 

Le virage numérique, pas une panacée

L’Université TELUQ, qui donne tous ses cours en ligne, affirme pour sa part que ce virage numérique n’est pas une solution miracle pour améliorer l’état financier des établissements postsecondaires. L’université prévoit en fait un déficit de 3 millions de dollars cette année, confie sa directrice générale, Lucie Laflamme. Et ce, malgré un bond de ses étudiants observé dans le contexte de la pandémie. Une situation qui s’explique par le fait que 92 % de ses 20 000 étudiants sont à temps partiel. L’université ne bénéficie ainsi que d’un financement équivalant à 4000 étudiants à temps plein de la part du gouvernement Legault, ce qui limite sa capacité à recruter des professeurs et des employés. 

Or, pour bien faire l’enseignement en ligne, « ça prend les ressources, ça prend les infrastructures et l’accompagnement de nos profs. Et en effet, si on fait juste grossir les classes, on peut se questionner sur la qualité de l’encadrement », poursuit Mme Laflamme. 

Joint par Le Devoir, le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, assure être « conscient des défis auxquels les universités peuvent faire face actuellement ». La nouvelle politique de financement des universités attendue cette année devrait d’ailleurs être « adaptée aux besoins et à la réalité » de celles-ci, assure-t-on. Le cabinet de Mme Déry note d’ailleurs que la croissance des budgets alloués par Québec aux universités avoisine 39 % depuis 2018. « Jamais un gouvernement n’aura autant investi en enseignement supérieur », affirme-t-on.

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