Dix ans après L’Isle-Verte, des RPA peinent toujours à installer des gicleurs

Dix ans après la tragédie de L’Isle-Verte, environ le quart des résidences pour aînés (RPA) peinent toujours à se conformer à l’obligation d’installer des gicleurs alors que des centaines d’autres ont dû fermer leurs portes parce que, dans plusieurs cas, elles étaient incapables d’assumer un tel investissement.

L’incendie, survenu le 23 janvier 2014 à la Résidence du Havre, avait coûté la vie à 32 personnes âgées, bouleversant la province entière. L’enquête du coroner Cyrille Delâge, complétée par le dépôt d’un volumineux rapport en janvier 2015, avait entre autres amené le gouvernement à adopter une réglementation obligeant l’installation de gicleurs dans toutes les RPA, avec certaines exceptions pour les résidences hébergeant moins de 10 personnes.

Les petites résidences mises à mal

En date du 31 décembre dernier, selon les données fournies à La Presse canadienne par le cabinet de la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, 353 des 1413 RPA du Québec n’avaient toujours pas installé de gicleurs. Cependant, 184 d’entre elles comptent moins de dix unités et pourraient bénéficier d’une exemption si elles se sont conformées à d’autres exigences de sécurité en cas d’incendie.

Il faut toutefois préciser que ces 353 résidences ne représentent que 4,5 % des unités existantes en RPA. En d’autres termes, ce sont les petites résidences déjà existantes qui ont le plus de mal à se conformer. Les grands complexes immobiliers destinés aux aînés ayant une capacité financière beaucoup plus robuste et toutes les résidences qui ont été construites au cours des dernières années ont intégré le coût des systèmes de gicleurs dans le coût de construction global.

Les 169 résidences qui ne peuvent bénéficier d’exemptions « pourraient ne plus être conformes le 2 décembre 2024, donc ne plus avoir le droit d’être en exploitation », explique Hans Brouillette, directeur des affaires publiques au Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA). « L’échéance apparaît vraiment trop rapide maintenant pour espérer que tout le monde soit conforme d’ici là. »

Le coroner Delâge avait suggéré de donner un délai de cinq ans aux résidences pour se conformer. Ce délai devait éventuellement être prolongé jusqu’au 2 décembre 2024. Quatre moutures d’un programme d’aide pour assumer ces investissements ont successivement été offertes. 

Une aide nettement sous-évaluée

Cependant, l’aide offerte sous-estime sévèrement les coûts réels de l’investissement requis et, dans les cas de RPA de plus de 30 unités, ne donne pas 100 % de cette évaluation déjà insuffisante.

M. Brouillette donne l’exemple d’une résidence de 20 unités située en région. Le propriétaire a donc droit à la totalité de la subvention de 7000 $ par unité, soit une somme de 140 000 $. Or, l’évaluation pour son installation est de 300 000 $. Et en région, précise-t-il, d’autres coûts vont s’ajouter. « L’entrepreneur va charger des frais de déplacement, d’hébergement, de repas. Dans d’autres cas, il sera nécessaire de se raccorder au réseau d’aqueduc municipal. Nous avons vu des soumissions à 100 000 $, mais la subvention pour un tel raccordement n’est que de 40 000 $. Le 60 000 $ qui manque, il va le trouver où ? »

Se sont ajoutés au cours des dernières années l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et des coûts de main-d’oeuvre. En plus, non seulement les primes d’assurance ont-elles connu une augmentation significative, l’installation de gicleurs elle-même fait augmenter la prime en raison des risques de fuites dans la tuyauterie et des dégâts d’eau conséquents dans les murs et les plafonds.

Des modèles d’affaires brisés

« Cette réglementation-là, plus que toute autre, est venue faire bondir, exploser les coûts. C’est celle-là qui fait le plus mal et c’est celle-là qui sonne le glas pour de nombreuses résidences », dit-il.

« Ce sont des montants brusques qui surviennent et qui viennent carrément briser votre modèle d’affaires et votre capacité de financer ces travaux. Donc des fermetures deviennent inévitables et certainement qu’une majorité des fermetures sont attribuables à cette mesure-là. »

Il souligne que dans toute industrie ou service, la sécurité a un prix et que lorsqu’on resserre la réglementation, les coûts seront transférés au consommateur, à l’usager ou au client. « Dans le cas des RPA, ce n’est pas possible pour deux raisons principalement : d’abord le contrôle des loyers – les augmentations de loyer sont réglementées, contrairement à d’autres secteurs d’activité où il n’y a pas de contrôle des prix – et, deuxièmement, par la capacité de payer des aînés. Donc, oui, on peut accroître leur sécurité, mais on les prend où les revenus pour payer cette sécurité accrue qu’on nous impose par règlement ? »

Le poids de cette réglementation pèse proportionnellement beaucoup plus lourd sur les petites résidences, explique Hans Brouillette. « Le coût doit être amorti sur un moins grand nombre d’unités, donc de revenus de loyer. C’est évident que, pour les petites résidences, c’était un défi majeur. »

De plus, les propriétaires peuvent difficilement se tourner vers les institutions financières, explique-t-il. « La banque ne veut pas te financer parce que ton modèle d’affaires ne prévoit pas d’entrées de fonds suffisantes pour le remboursement. »

« On aime dire que les vies n’ont pas de prix, mais… »

D’après le RQRA, Québec aurait dû assumer la totalité du financement de ces installations dès le départ.

« C’était la solution. Il est trop tard maintenant. Un millier de résidences pour aînés ont fermé depuis dix ans, pas toutes à cause des gicleurs bien entendu, mais c’est majeur. »

« Le gouvernement aurait dû et devrait payer la totalité. Le gouvernement, c’est l’argent des contribuables. Est-ce que, collectivement, on souhaite avoir un niveau de sécurité accru dans les résidences ? On est tous d’accord pour dire que les vies n’ont pas de prix. On aime dire ça, que les vies n’ont pas de prix, mais elles en ont un quand même quand vient le temps de mesurer la capacité de payer », déplore M. Brouillette. 

« Est-ce qu’on a les moyens d’assumer ce coût ? Probablement que oui, si on fait les bons choix et qu’on priorise de la bonne façon. Collectivement, on aurait dû se poser ces questions-là à l’époque et y répondre par une subvention à 100 % », laisse-t-il tomber en conclusion.

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