Drapeau en berne au gala des Juno

Aujourd’hui, j’ai mal. Mal à mon français, mal à ma culture. La 53e cérémonie des prix Juno a creusé en moi un gouffre dans lequel le gouvernement semble vouloir précipiter la francophonie canadienne. Est-ce que cette cérémonie, qui se voulait pourtant festive et inclusive, est le reflet du sort que réserve le Canada aux francophones sur son territoire ? Si oui, le Québec semble le dernier bastion francophone en terre hostile. La scission avec le reste du Canada me semble de plus en plus inévitable. J’ose à peine imaginer ce que c’est que d’être francophone hors Québec…

Depuis que je travaille dans le domaine radiophonique comme directeur musical, je me fais chaque année le devoir de regarder ce gala télévisé de plus de deux heures afin de mesurer la qualité de mon travail, mais également pour y voir briller les artistes québécois qui y sont sélectionnés en grand nombre.

Cette année, la cérémonie se déroulait dans l’est du pays, du côté d’Halifax, en Nouvelle-Écosse. Comme j’écoute les prix Juno depuis maintenant plusieurs années, j’ai tendance à comparer les galas. La première chose qui m’a frappé, c’est que cette année, personne n’a fait l’effort d’apprendre un traître mot en français comme l’avait fait avec sensibilité l’acteur Simu Liu. De plus, aucun artiste francophone n’est monté sur scène pour remettre un prix comme l’avait fait Roxane Bruneau dans les dernières années ou même Mitsou à une certaine époque. Pire, la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, n’a même pas daigné faire son discours dans les deux langues officielles, ce que l’honorable Pablo Rodriguez a fait à maintes reprises par le passé.

L’injure suprême, je crois, c’est d’avoir fait un demi-hommage au grand auteur-compositeur-interprète québécois qu’était Karl Tremblay. L’interprétation instrumentale du succès Les étoiles filantes des Cowboys Fringants par Alexandra Stréliski était tout simplement magistrale, rien à redire, mais si ce n’était de son hommage à Karl avant qu’elle commence la pièce, il n’y aurait eu aucun français prononcé durant ce gala diffusé dans l’ensemble du Canada sur CBC et payé en partie par nos impôts.

Est-ce si difficile d’inviter un artiste québécois à interpréter la poésie des Cowboys devant un public majoritairement anglophone ? Ce même public qui, plus tôt, acclamait la prestation en pendjabi de l’artiste Karan Aujla. Ce public qui, tantôt, se délectait de la prestation dans la langue des ancêtres de Jeremy Dutcher, suivie par celle en inuktitut d’Elisapie. Même Charlotte Cardin est montée sur scène pour interpréter son succès Confetti dans sa version originale anglaise, alors qu’elle en a pourtant fait une version française. Était-il si inapproprié de lui demander d’en faire une version hybride pour inclure les deux langues ?

Ironiquement, le français ne s’est jamais aussi bien porté. Il a la cote partout dans le monde, partout sauf chez nous, au Canada. De plus en plus d’artistes de calibre international nous proposent des versions françaises de leur succès, soit en se joignant à un talent issu de la francophonie, comme l’a fait l’Américain Benson Boone pour sa chanson In The Stars, avec Philippine Lavrey, soit en chantant eux-mêmes dans la langue de Molière, comme l’artiste irlandais Cian Ducrot avec son extrait All For You (Moi qui t’aimais tellement), ou encore la formation allemande Milky Chance et son succès Living in a Haze (en V.F.). La mégastar canadienne Bryan Adams ou encore le célèbre chanteur britannique Mick Jagger sont capables de nous pousser quelques phrases en français lorsqu’ils sont de passage en sol francophone.

Les exemples qui prouvent que la langue française attire l’attention partout dans le monde sont divers et multiples. Alors, comment justifier l’absence totale de numéro francophone dans cette 53e cérémonie ? Les occasions étaient pourtant bien là. L’une des formations nommées dans la catégorie Meilleur album francophone aurait très bien pu plaire aux Néo-Écossais. On a juste à penser à Salebarbes ou encore à Karkwa…

Est-ce qu’il faudra que nos artistes s’en mêlent et utilisent leur tribune pour parler du problème, comme l’ont fait avant eux les artistes des Premières Nations ? On ne peut que saluer leurs efforts puisqu’on voit aujourd’hui à quel point ouvrir la discussion peut nous aider à prendre notre juste place. Il faut arrêter de tolérer l’intolérable et de s’excuser d’être qui nous sommes. Aujourd’hui, j’ai mal, mais je vis d’espoir puisque je sais que ce mal n’est pas incurable.

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