Élections à Taïwan, une démocratie sous tension

Le 13 janvier dernier, les Taïwanais étaient conviés aux urnes, dans un contexte de tensions accrues entre la Chine et les États-Unis. Le Parti démocrate progressiste (PDP), favorable à l’indépendance de l’île, a remporté un troisième mandat consécutif. Une première depuis la démocratisation de l’île à la fin des années 1980. Malgré le contexte sécuritaire entourant l’île, on remarque que le quart des électeurs ont voté d’une manière contestataire, au grand bénéfice du Parti populaire taïwanais (PPT), jeune parti créé en 2019. 

Sans pour autant nier les enjeux internationaux, les enjeux intérieurs, tels que le coût de la vie et les emplois, semblent préoccuper davantage une certaine partie de l’électorat taïwanais.

Point chaud entre la Chine et les États-Unis

Tout d’abord, Taïwan est une pièce centrale dans les tensions sino-américaines. Considérée comme une « province rebelle » par Pékin, qui n’exclut pas une réunification par la force, l’île vit sous une menace militaire constante de la part de son voisin chinois. Démocratique et libérale, Taïwan est un symbole de résistance face aux valeurs et au système politique totalitaire prônés par Pékin.

D’autre part, le savoir-faire des entreprises taïwanaises dans le domaine des semi-conducteurs est inégalé, pièce au centre de la compétition technologique entre Pékin et Washington. Sans elle, les technologies de pointe comme l’intelligence artificielle et les technologies militaires dernier cri seraient encore sur la planche à dessin. 

Les principales forces à l’oeuvre

La campagne électorale s’est terminée avec trois principaux candidats. Premièrement, Lai Ching-te est le candidat pour le Parti démocrate progressiste (PDP). Ce parti promeut l’identité taïwanaise devant celle chinoise. Même si plus de 60 % de la population se dit taïwanaise, face à la menace d’invasion de Pékin, celle-ci n’est pas favorable à une déclaration d’indépendance officielle. Projet longtemps souhaité par ce parti.

Deuxièmement, il y a Hou Yu-ih, le candidat du Kuomintang (KMT). Ce parti est favorable à un rapprochement avec Pékin, sans pour autant souhaiter une réunification avec le continent. Selon lui, l’établissement de relations cordiales serait la meilleure façon d’assurer la souveraineté et l’autonomie de l’île.

Troisièmement, Ko Wen-je, l’ex-maire de Taipei, est le candidat du Parti populaire taïwanais (PPT), créé en 2019. Ce parti plaît surtout aux jeunes électeurs qui sont mécontents des deux autres partis. De plus, les partisans de ce parti se préoccupent davantage des enjeux intérieurs, comme les loyers et les salaires.

Les enjeux politiques et l’ingérence chinoise

La relation avec la Chine est le thème central des campagnes électorales depuis la fin des années 1980. Le PDP cadre cet enjeu sous l’opposition « démocratie par rapport à autoritarisme ». Le KMT préfère parler de « guerre par opposition à la paix », insinuant qu’une déclaration d’indépendance mènerait à la guerre. Malgré tout, la position préférée de tous est celle du statu quo. Face à la réintégration forcée de Hong Kong ainsi qu’à la pression militaire constante de Pékin, les Taïwanais souhaitent d’abord et avant tout préserver leur État de facto. 

Toutefois, ces élections nous ont démontré que plusieurs électeurs pensent que l’accent devrait être mis sur les enjeux intérieurs, tels que les problèmes liés à l’immobilier, aux emplois, aux salaires et à l’inflation. Cette position est surtout partagée par les 20 à 30 ans, qui, sans minimiser les enjeux sécuritaires, pensent que le PDP et le KMT ne s’en préoccupent pas assez.

Il faut aussi compter sur la présence de la Chine dans cette campagne. Selon un article de Foreign Affairs, Pékin aurait dépensé plusieurs dizaines de millions de dollars, depuis 2016, afin d’utiliser des « proxys » locaux — des médias, des influenceurs et des élites politiques pro-Pékin — dans le but d’accentuer les divisions sociales et d’éroder la confiance des électeurs. Toutefois, l’île résiste à ces tactiques grâce à des réseaux de groupes civils et à des initiatives gouvernementales qui combattent la désinformation chinoise. De plus, la société est informée sur les moyens employés par Pékin pour influencer l’opinion publique.

La Chine a aussi maintenu sa pression militaire autour de l’île durant la campagne. Des ballons-espions ainsi que des incursions aériennes et maritimes auraient été rapportés par le ministère de la Défense taïwanais.

Résultat des élections

C’est le candidat du PDP, Lai Ching-te, qui a été élu, avec environ 40 % des voix. Son rival du Kuomintang a récolté 33 % des voix. Il s’agit d’une victoire « partielle » pour le PDP. Bien que son candidat ait été élu au poste de président, celui-ci n’a pas reçu une majorité des voix. Cette situation le place dans une position de relative faiblesse pour son premier mandat. Aucun parti n’a cependant remporté une majorité au Parlement.

Le résultat nous indique que les Taïwanais semblent préférer le PDP dans le contexte actuel. L’affirmation de l’identité et de la souveraineté taïwanaises semble prendre le dessus sur la position plutôt conciliante du Kuomintang.

Il est important de souligner la percée du PPT, qui a récolté 26 % des voix. Il s’agit d’un message très clair pour le nouveau président : il doit porter son regard sur les enjeux intérieurs. De plus, avec ses huit sièges au Parlement, il se retrouve en position de pouvoir pour négocier, à sa faveur, les projets de loi en échange de son appui.

Qu’est-ce que ça signifie pour l’île ?

Les relations entre la Chine et Taïwan ne risquent pas de s’améliorer dans les prochaines années. Pékin qualifie M. Lai de « dangereux partisan » de l’indépendance de l’île. De plus, afin d’assurer l’autonomie et la sécurité de l’île, M. Lai a promis de renforcer la relation avec Washington. La « paix sous tension » que connaît l’île, depuis plusieurs années, risque de perdurer dans les prochaines années. Autrement dit, il est probable que la Chine continue ses opérations militaires près de l’île et ses campagnes de désinformation.

Ces élections nous ont démontré que les tactiques de la Chine sont contreproductives. Les Taïwanais se définissent maintenant comme étant distincts du continent. Cette distinction s’affirme notamment dans l’attachement qu’ils portent à leur système démocratique.

La flamme démocratique taïwanaise résiste face à la tempête chinoise qui tente coûte que coûte de l’étouffer.

À voir en vidéo

You May Also Like

More From Author