Un premier texte publié dans Le Devoir du 6 novembre faisait part de nombreuses préoccupations à l’égard de la crise du logement que traverse le Québec. On y a vu les iniquités engendrées, la rupture du contrat social à l’endroit des plus jeunes, la discrimination systémique qui risque de s’établir à l’endroit des nouveaux arrivants et des plus jeunes. Ajoutons à cela la misère sociale et économique que distillent des logements hors de prix.
Au gouvernement du Québec et dans les hôtels de ville, partout au Québec, nul doute que les élus et élues prennent à coeur la situation préoccupante du marché locatif. Mais cette sensibilité ne suffira pas. Il faudra des changements importants dans nos approches et une vision plus réaliste de ce qu’est devenu le marché locatif.
Il faut, tout d’abord, rompre avec une pensée économique complètement déclassée par les événements. L’équilibre de l’offre et de la demande ne fonctionne plus dans le domaine du logement. Laisser aux forces du marché le soin d’une décélération des coûts, c’est demander à la poule de ne plus pondre d’oeufs. Ça n’arrivera pas. D’autant plus que, comme le mentionnait récemment Stéphan Corriveau, directeur général du Centre de transformation du logement communautaire, la SCHL intervient déjà dans le marché privé en le soutenant via diverses mesures. Notamment en assurant les prêts hypothécaires, ce qui permet à certains ménages d’accéder à la propriété moyennant une mise de fonds réduite, ce qui a pour effet d’augmenter rapidement la demande de logements dans un contexte où l’offre ne suit pas, phénomène créant une pression à la hausse sur les prix.
Ajouter des subventions pour tenter de rétablir l’équilibre est inutile et néfaste à partir du moment où le marché locatif est financiarisé et détaché de sa valeur sociale. L’augmentation de l’offre de logements est une partie de la solution, mais il est essentiel que ces nouveaux logements viennent répondre aux besoins des populations vivant les effets de la crise du logement. Il y a une adéquation à faire entre le fait que la construction de logements locatifs a doublé entre 2016 et 2020 et que le taux d’inoccupation des logements à plus de 2000 $ par mois soit bien au-delà du seuil d’équilibre. Les logements construits ne viennent pas répondre aux besoins, le marché répond aux demandes et non aux besoins.
Il faut donc ramener le marché locatif et résidentiel vers un capitalisme à visage humain.
Il faut s’inspirer de métropoles comme Vienne et Singapour, où une large part du stock locatif est hors marché. Une population bien logée et en sécurité est un atout pour une ville. La course à la spéculation est une plaie qui diminue la vitalité sociale et économique des villes.
Il n’est pas nécessaire de confier aux autorités municipales le marché locatif pour obtenir un effet sur les prix. Le recours à des entreprises d’utilité publique (un concept à développer au Québec), à des fiducies d’utilité sociale ou encore à des coopératives permettrait de sortir du marché spéculatif ce bien précieux qu’est le logement.
Il faudra bien un jour intervenir pour limiter le nombre de portes qu’un conglomérat, bien souvent étranger, peut posséder dans une ville. Le marché locatif doit être l’affaire d’entreprises et de citoyens québécois. Il faut briser la courroie du rendement sur investissement, qui dénature le marché de l’habitation. Ce rendement sur investissement caractérise la propriété purement spéculative.
Il faut bien l’admettre, un tropisme est à l’oeuvre dans le monde de la construction. On érige en valeur absolue un rendement entre 15 % et 20 %. Même lorsque le coût de construction fait l’objet d’un soutien financier de l’État. Soyons clairs : si une entreprise veut investir son argent dans l’espoir d’obtenir un gain de 20 %, qu’elle le fasse à ses risques. Il n’y a aucune raison pour qu’un projet soutenu par nos taxes produise du 20 % de rendement. La sacralisation du rendement est devenue une contrainte banalisée par l’ensemble des intervenants. Mais ce n’est pas une fatalité. Un changement à cet égard serait infiniment plus porteur qu’un complexe retrait de la taxe de vente sur les matériaux de construction.
Que le gouvernement exige un devis de performance pour les entreprises qui veulent avoir accès à des subventions. Avec la formule du plus bas soumissionnaire, trop souvent, le logement abordable et social a été conçu, dès le départ, comme une construction non durable, bâtie avec les matériaux les moins coûteux. Résultat : une dégradation rapide qui appelle aussitôt de nouveaux investissements. Notons que cette recherche de performance et de qualité se fait déjà à divers endroits au Québec. Il faut donc généraliser la chose.
Il faut resserrer les normes du programme APH Select de la SCHL, qui exige que 25 % des logements construits soient abordables, mais qui n’arrive pas à répondre aux besoins réels en matière de logement abordable et qui enrichit bien inutilement des promoteurs. Tout au moins, qu’on adapte les loyers aux superficies des logements abordables. Pour le moment, le programme est réfléchi pour produire des studios abordables et empocher la garantie de prêt tout en louant le reste des logements à fort prix. C’est indécent.
Il serait aussi pertinent d’augmenter le barème actuellement utilisé par la Société d’habitation du Québec pour donner accès à du logement abordable, c’est-à-dire un revenu de 67 000 $ pour deux personnes ou de 82 300 $ pour trois personnes. Une hausse d’au moins 15 % aiderait à qualifier plus de familles qui, à ces niveaux de revenus, ne sont tout de même pas à mettre dans la classe aisée.
On peut aider à la mise en oeuvre de chantiers de construction en diminuant les frais municipaux. Les revenus de taxation décupleront dès que les logements seront disponibles. Cette barrière à l’entrée, dans un contexte de crise, devrait disparaître.
Les projets de logements abordables devraient jouir du même statut que le logement social pour ce qui est des référendums locaux, ce qui n’exclut nullement la consultation locale. Il n’existe pratiquement aucun endroit où on accueille avec bienveillance de nouveaux voisins, quelle que soit la tenure, sauf parfois dans le marché haut de gamme.
Compte tenu des circonstances, il serait peut-être sage que les divers gouvernements examinent la possibilité de retarder certains projets publics moins urgents afin de libérer la main-d’oeuvre nécessaire à un vaste chantier de logement abordable.
Très bientôt, le marché résidentiel sera en panne sèche, faute d’acheteurs. Il y a très peu de chantiers qui lèveront au cours des prochains mois. Il ne faudrait donc pas que la crise du logement se transforme en crise du secteur de la construction résidentielle avec subventions à la carte. Du moins, pas au prix des profits générés actuellement. C’est l’argent des contribuables, ça mérite un peu de respect.
Les propositions que nous faisons ont pour objectif d’ouvrir une fenêtre d’espoir afin de laisser entrer un peu de cet air frais que génère le progrès social.
N’attendons pas que le marché se stabilise tout seul, ça n’arrivera pas. Il y a trop de requins dans l’aquarium. Alors aussi bien opter pour l’économie sociale et vider le bocal.