La grève des enseignants, qui risque de s’éterniser dans certaines régions, comme à Montréal, complique encore une fois le quotidien des parents. Si la pandémie a fait appel à leur patience et à leur résilience, elle a néanmoins facilité la conciliation travail-famille — notamment par le télétravail — et renforcé l’esprit d’entraide entre voisins.
« On est loin de l’effet panique qu’on a connu quand toutes les écoles ont fermé pendant la pandémie », affirme d’emblée Kiléka Coulibaly, mère de famille et présidente du comité de parents du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM). « Mais c’est sûr qu’il y a de l’inquiétude, principalement au niveau de la durée. Les parents se demandent : pendant combien de temps vais-je devoir trouver une alternative pour faire garder les cocos ? Mais on voit une belle entraide et beaucoup de résilience. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. »
Ceux qui le peuvent vont faire garder les enfants par les grands-parents, des voisins, des membres de la famille proche ou éloignée. D’autres parents s’organisent entre eux.
C’est le cas de familles du quartier Centre-Sud, à Montréal, qui vont garder les enfants des uns et des autres à tour de rôle. Violaine Campo, mère de deux enfants qui fait partie du groupe, aurait pu s’organiser par elle-même, mais estime qu’il est nécessaire, dans les circonstances, d’être « solidaire ». Elle a « pas mal de flexibilité » pour faire du télétravail et, comble de chance, sa mère arrive dimanche pour une visite de trois semaines. « De notre côté, on a pas mal de souplesse, mais ce n’est vraiment pas le cas de tout le monde. Ça n’empêche pas de dépanner les autres. »
Chacun à leur tour, donc, les parents vont amener les enfants au parc, à la bibliothèque ou au Salon du livre — qui admet gratuitement les enfants et leur accompagnateur pour compenser l’interruption des classes. La première semaine est organisée. Pour le reste, les parents y iront au jour le jour. « On va déjà passer à travers la première semaine », confie Mme Campo en riant au bout du fil.
« Une maman me disait récemment que depuis la pandémie, il n’y a plus rien qui la stresse, raconte Mme Campo. On a tous été traumatisés par ça [la pandémie], ça a laissé des marques. Mais en même temps, on se dit qu’on a réussi à passer au travers une fois, que ça ne peut pas être pire que d’avoir les enfants pendant des mois à la maison ! » Comme Mme Coulibaly, elle estime que la pandémie a renforcé les liens avec les voisins, ce qui facilite l’entraide. « On va plus oser demander de l’aide parce qu’on sait qu’on ne peut pas s’en sortir sinon. »
Les réseaux sociaux sont également de puissants vecteurs de solidarité et d’entraide dans de telles situations. Dans les groupes de parents des différents quartiers, plusieurs offrent leurs services de gardiennage ou de tutorat — ou ceux de leurs enfants du secondaire également en congé.
Des parents s’informent sur les meilleurs cafés où travailler avec un enfant ou demandent des suggestions d’activité pour éviter que leurs enfants ne passent la journée devant les écrans. Bref, les parents utilisent de plus en plus les outils à leur disposition pour demander de l’aide et faire part de leurs solutions.
Camps de grève
Pour dépanner les parents, plusieurs organismes proposent des camps de jour pendant la grève. « On l’avait déjà fait lors de grèves dans le passé, et les parents nous avaient remerciés, ils étaient vraiment contents », explique Solange Leblanc, propriétaire d’Acrosport Barani, qui a décidé de renouveler l’expérience pour les prochains jours. « La demande est là, les gens nous remercient. »
C’est aussi une façon de pouvoir offrir des heures aux entraîneurs et d’éponger les pertes causées par l’annulation des activités scolaires pendant cette semaine, ajoute-t-elle.
Même son de cloche chez Motion parc évolutif, à Granby, un centre généralement très occupé avec les programmes sport-études. « On n’avait rien à l’horaire, on avait déjà le personnel et on voyait que beaucoup de parents capotent. Alors on s’est dit qu’on allait ouvrir pour les aider », explique le coach Jérémy Melançon. Pour l’instant, il n’y a que trois jours de prévus pour le camp de jour spécial. Qu’adviendra-t-il si la grève se poursuit ? « C’est une décision qui reste à prendre selon ce qui va se passer », précise M. Melançon.
À Montréal, le Camp Énergie propose un camp de jour spécial « Édition grève » du 21 au 23 novembre et envisage d’étendre ses activités si le conflit perdure.
Plus de flexibilité
La pandémie a également facilité la conciliation travail-famille. « On a hérité de quelque chose de positif malgré les années COVID, relève Kiléka Coulibaly, du comité de parents du CSSDM. Maintenant, dans la grande majorité des cas, on fournit le matériel aux employés pour permettre le télétravail. Ça aide beaucoup. Cela étant dit, il faut être conscient que ce n’est pas tout le monde qui peut en bénéficier. J’ai envie de faire un peu appel à l’ouverture et à la compréhension des employeurs : on est tous là-dedans. »
Jean-Claude Bernatchez, professeur en relations de travail à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), constate lui aussi des avancées en matière de conciliation travail-famille depuis la pandémie. « C’est devenu normal de travailler avec des enfants à la maison », fait-il remarquer. Il note également une plus grande flexibilité chez les employeurs. Sur ce point, c’est surtout la pénurie de main-d’oeuvre qui est en cause, précise-t-il. « Les employés le savent et disent : tu m’accommodes ou je vais me chercher un autre boulot. »
Malgré tout, certains parents restent, à quelques jours du déclenchement de la grève, sans option. C’est le cas de Rahma Bannani, qui s’est installée au Québec avec son fils de six ans il y a quelques semaines à peine. Son mari est resté en Tunisie pour le travail. Elle-même vient de commencer un emploi dans une clinique. Il est donc impossible pour elle de faire du télétravail ou d’amener son fils au bureau. Et elle n’a aucun réseau. « On vient d’arriver, je n’ai pas beaucoup d’amis ou de mamans que je connais, confie-t-elle. Je vous jure, c’est compliqué. Je me sens perdue. »