Le président français parlait le 28 août du Niger : il y a une « épidémie de coups d’État en Afrique », disait-il. Avec le Gabon qui s’est depuis ajouté à la liste, la métaphore médicale est sur toutes les lèvres : épidémie, contagion… Le quotidien en ligne El Watan utilise même le mot « métastases ».
Juste depuis le début de 2020, on compte huit coups d’État en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. La séquence inclut : le Mali (deux fois), le Burkina Faso (deux fois), la Guinée, le Tchad (Idriss Déby fils a pris là-bas le pouvoir manu militari après la mort violente de son père en 2021). Et maintenant (été 2023) le Niger et le Gabon.
Une compilation récente du Figaro fait état de 229 putschs ou tentatives de putschs depuis 1950 en Afrique, dont 109 réussis… Deux champions : le Soudan avec 17 et le Burundi avec 10. Au Soudan, la rivalité entre deux généraux a dégénéré, depuis avril, en une guerre qui a fait au moins 5000 morts.
Qu’il s’agisse de renverser un président qui réprime les libertés, du prétexte de la lutte anti-djihadiste, ou de la collision meurtrière d’ambitions personnelles, l’ingérence des hommes en uniforme retrouve aujourd’hui en Afrique des niveaux jamais vus depuis les années 1960, 1970 et 1980.
En Afrique francophone, la déception est grande face à la « révolution démocratique » des années 1990, dont les promesses économiques n’ont pas été tenues. Dans une partie de ces pays, la maladie islamiste est venue prospérer et proliférer sur la déception et la misère. Le tout se superposant aux failles ethniques, linguistiques et tribales. Avec des puissances étrangères, néocoloniales — Chine, Russie — en embuscade, se réjouissant des soulèvements « anticolonialistes ».
Tous ces coups d’État ne sont pas forcément semblables, n’ont pas toujours les mêmes causes et ne forment pas une chaîne où le putsch précédent représenterait forcément l’inspiration du suivant. Même si dans certains cas… c’est vrai.
La zone africaine où les principaux putschs se sont succédé ces dernières années est le Sahel, au sud du Maghreb — le Maghreb d’où est arrivé, il y a 15 ans environ, le terrorisme djihadiste.
À Niamey, les putschistes, appuyés par les réseaux sociaux et relayés par des manifestations, ont vite lancé une violente campagne antifrançaise pour réclamer le départ de l’ambassadeur et des forces françaises. La France s’est fait jeter dehors, en 2021 et 2022, du Mali et du Burkina Faso. Au Niger, Paris a jusqu’ici rejeté les demandes des putschistes, refusant de rappeler son ambassadeur, et soutient le président renversé : Mohamed Bazoum n’était pas contesté pour corruption ou malhonnêteté, et n’était au pouvoir que depuis deux ans et quatre mois.
Ce qui vient de se passer à Libreville n’appartient pas à la même séquence que les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Le putsch gabonais a suivi une tentative caractérisée de vol d’élections, par une dynastie familiale au pouvoir depuis 1967.
Au Gabon, il n’y a pas — pas encore ? — de terrorisme islamique. Mais au Burkina Faso et au Mali, les djihadistes sèment le chaos, tuent des milliers de personnes et en ont déplacé des centaines de milliers. La question de l’insécurité y est cruelle, existentielle.
Il y a aussi, bien entendu, le rapport complexe à la France. La France a encore aujourd’hui une présence économique et militaire — diminuée, mais réelle — dans de nombreux pays d’Afrique : dans les mines d’uranium nigériennes et le pétrole gabonais. Il y a toujours une base aérienne au Niger, des bateaux militaires français au Gabon.
Le rapport tordu avec l’ancienne puissance coloniale charrie une rancoeur, accumulée et tenace. Même 60 ans après les indépendances, Paris reste un bouc émissaire commode. En 2022 et 2023, à Bamako, à Ouagadougou, demain, à Niamey, on met à la porte les Français ; on les blâme pour tout ce qui va mal (en général), et pour l’échec de la lutte au terrorisme islamiste (en particulier).
On organise des manifs où on scande : « Dehors la France, à bas le colonialisme ! »… mais aussi : « Vive Poutine ! Vive Wagner ! Vive la Russie ! » Le tout baignant dans un immense malentendu, comme si le groupe Wagner était libérateur, comme s’il n’était pas une force prédatrice (ses atrocités en République centrafricaine sont bien documentées)… Comme si Wagner, avec ses 1000 ou 1200 mercenaires en armes au Mali, allait régler le problème du terrorisme… là où les 5000 Français — épaulés par une force régionale — ont échoué !
L’effervescence des casernes fait l’objet de fréquents débats et d’interventions d’experts et d’intellectuels, qui ne s’accordent pas sur son origine et ses potentialités. Pour le chercheur et professeur d’histoire camerounais Achille Mbembe, on assiste à « la fin d’un cycle historique » et à l’émergence d’une « néo-souveraineté » (ouais). Pour Gilles Yabi, responsable du groupe de réflexion Wathi, c’est plutôt « un retour à la loi du plus fort » et « la voie ouverte à la paranoïa permanente et à tous les abus ».
François Brousseau est chroniqueur international à Ici Radio-Canada. [email protected].