La semaine dernière, j’ai pris une petite pause de Zeitgeist, histoire de ne pas être complètement crevée à Noël entre deux déménagements et beaucoup d’élagage. J’avais oublié de vous prévenir ; j’ai reçu une foule de messages inquiets des lecteurs, comme si la fée Clochette s’était tue. Ça fait chaud au coeur de se savoir appréciée lorsqu’on s’absente. D’autant plus que la fée Clochette produit de la poussière de lutin qui permet aux autres de voler.
Mais mon syndicat (la FFCQ : Fédération des fées Clochette du Québec) m’intime de rester au sol régulièrement, car je n’ai pas d’assurances si je me brûle les ailes. Je fais de la prévention active (grève de poussière).
Je ne dois pas être faite forte. Mais je suis loin d’être la seule. J’en ai profité pour visionner la série de Bianca Gervais, Crevée ! — c’est un adjectif rare où le féminin l’emporte —, quatre épisodes sur ce mal du siècle qu’est la fatigue genrée, un symptôme de quelque chose de bien plus grand que novembre, le changement d’heure et la mine contrite de Bernard Drainville dans un point de presse. Un symptôme dont les antidépresseurs, le vin blanc en soirée, le Botox et les suppléments ne viennent pas à bout.
Les femmes — ce sont surtout elles — qui brandissaient les piquets devant les hôpitaux et les écoles lundi ne veulent pas seulement plus d’argent, elles veulent souffler. Ras-la-jupe de tenir le système à bout de souffle et de tenir la famille à bout de bras tout en étant sexy le samedi soir, sinon Gontran va aller voir ailleurs si j’y suis. Et j’y suis pas, t’inquiètes.
Pour nous éviter de devoir lutter au quotidien, de génération en génération, il faudrait un changement radical de société
C’est une métamorphose majeure des normes sociales imposées aux femmes, surtout mères, qu’il faudrait envisager, comme le mentionne la comédienne Bianca Gervais tout en sachant bien que ce combat la dépasse. Barbie s’est libérée de ses talons hauts en gang, pas seule.
Lorsque je suis tombée enceinte, il y a presque 21 ans, ma patronne du magazine Châtelaine, plutôt de droite ascendant gros bon sens et pas plus féministe que le pape, m’avait donné un excellent conseil : « Tu peux tout avoir, mais pas tout en même temps. » Le réalisme de cette affirmation n’allait pas tarder à me rattraper.
Dur post-partum
D’abord, la vitesse. Tout va de plus en plus vite. On court des demi-marathons au sens propre et figuré. Faut pas s’étonner que la course soit devenue le sport emblématique d’une génération ou deux (je me suis bousillé les deux pieds en un hiver avec ça, toujours en réparation depuis trois ans. Avis aux intéressées, le système public n’offre rien pour ce genre de bobo). La course est individuelle, performante, grisante, voire dopante, peu de matériel pour un maximum de rendement. Si tu cours, tu es symboliquement dans la course, peu importe la distance.
Ensuite, l’apparence. Pour les femmes, il faut travailler sans avoir l’air d’être mère et être mère sans avoir l’air de travailler. Et rester sexy, je répète, un impératif du patriarcat, c’est-à-dire, « fantasmable ».
Puis, le FOMO (fear of missing out) amplifié par les réseaux sociaux et le YOLO (you only live once) typique des Occidentaux qui ont peur de la mort. Vivons à fond ; le mot d’ordre général. On voit où cette mentalité de désespérés nous a menés sur le plan environnemental.
J’ai découvert avec la monoparentalité précoce que le féminisme s’arrêtait là où la maternité commençait. Le féminisme sans enfant est relativement plus aisé. Je suis devenue féministe durant ma grossesse, à force de vomir ma vie. J’ai tout pigé après. Ce sont les autres mères qui m’ont sauvée, un réseau silencieux et très efficace de femmes dévouées et généreuses. Elles ont assuré pour moi. Pour que je ne craque pas dans la honte, pour que je n’aille pas me lancer devant un métro. Ça, personne n’en parle jamais. Le système et la survie de l’espèce tiennent grâce à elles. J’ai compris pour le fameux « village » aussi. Et ne pensez pas que mon cas soit exceptionnel.
20 % des femmes font un post-partum ; ça non plus, on n’en parle pas souvent. Ça fait du monde à l’enterrement du placenta. Je n’ose imaginer pour le post, mais j’ai connu l’ante-partum, ça m’a suffi.
Or, il est normal que les femmes critiquent parfois, si on connaît les données quant aux inégalités réelles dans les couples hétérosexuels, sans compter qu’elles font face à la “résistance des dominants aux changements”, une autre source de conflits interpersonnels
Et puis, j’ai dû renoncer. À beaucoup de choses comme la carrière en télé (j’en avais une), les sorties « payantes », les lunchs, les apéros, le look, la mode, le golf (#ironie), les amis friqués (c’est moins de pression financière), les anniversaires de mon B au labyrinthe ou dans un atelier de peinture sur céramique, etc.
J’ai renoncé au superflu (et parfois à l’essentiel) qui nous assure de grimper les échelons dans un système qui valorise le fric et l’apparence du fric. J’ai choisi le temps, pour ne pas être « crevée ! ». J’ai choisi de ne pas bousculer mon kid et j’ai échappé à la mode des maudits lutins de l’avent. Et comme beaucoup de parents, je me suis accommodée en pleurant des avantages indéniables de la garde partagée. Car il y en a… même si on s’appauvrit encore plus.
Lâcher prise pour ne pas lâcher
Dans Portrait des Québécoises du Conseil du statut de la femme (2021), on avance que 34 % de la tranche des 35 à 49 ans perçoit la vie comme stressante. Et ces femmes en âge de materner nomment la famille comme leur plus grande source d’épuisement. Selon l’INSPQ (Institut national de santé publique du Québec, 2019, prépandémique), ce sont 35 % des travailleuses qui souffrent de détresse psychologique élevée et très élevée.
Si le tiers des effectifs n’y arrive plus, les autres ne sont pas nécessairement plus fortes, certaines ont peut-être les moyens de se payer de l’aide aussi. Cela dit, l’inégalité de la charge est réelle, pas besoin d’avoir lu la dernière bédé d’Emma, Des lignes et des cailloux, pour le savoir.
La bédéiste à l’origine de la diffusion de l’expression « charge mentale » (en rappel : le fait de devoir toujours penser à tout) m’aurait vraiment fait du bien si j’avais pu la lire à l’époque. Elle offre de réelles pistes quant au volet domestique, mais note qu’il faudrait un changement radical de la société patriarcale. Les femmes valorisent le préventif, les hommes, le curatif.
Sur le plan social, de ce qu’on attend des femmes et de ce qu’elles s’imposent entre elles, des normes intégrées depuis leur première Barbie, il faudra du temps pour tout repenser, à dégenrer et à déranger.