Depuis l’attaque des militants du Hamas contre Israël du 7 octobre dernier, le premier ministre Justin Trudeau se garde soigneusement de dévier de la position américaine sur le conflit, qui menace de se propager à d’autres pays du Proche-Orient.
Son refus d’appeler à un cessez-le-feu crée des remous au sein du caucus libéral. Pas moins de 23 députés libéraux ont signé une lettre lui demandant que le Canada « se joigne au nombre croissant de pays qui demandent un cessez-le-feu immédiat ». M. Trudeau leur a répondu cette semaine en se disant favorable « à l’idée de pauses humanitaires », qui permettraient l’acheminement d’aide aux civils piégés à Gaza tout en n’empêchant pas Israël de reprendre son assaut sur le territoire palestinien dans le but d’éliminer le Hamas.
Sa déclaration, mardi, est arrivée presque simultanément à celle du secrétaire d’État américain, Antony Blinken. Devant l’Organisation des Nations unies, à New York, il a, lui aussi, appelé à des pauses humanitaires.
Depuis son arrivée au pouvoir, en 2015, le gouvernement de M. Trudeau semble élaborer sa politique étrangère en fonction des désirs des clientèles ethniques de certaines circonscriptions clés, notamment de la banlieue de Toronto et de Vancouver. Dans beaucoup de cas, ses positions n’attirent pas l’attention du public en dehors de ces enclaves ethniques, où l’appui — ou pas — de la population sikhe, tamoule, chinoise ou autre peut tout changer entre une victoire ou une défaite des libéraux lors d’élections fédérales.
Puisque leurs mots et leurs actions ne pèsent pas beaucoup sur la scène internationale, les gouvernements canadiens, sauf de rares exceptions, ont tous traditionnellement eu le luxe de concevoir leur politique étrangère comme un bidule à faire gagner des votes. Toutefois, cette approche s’est retournée deux fois contre le gouvernement Trudeau dans la dernière année.
Il a longtemps cherché à minimiser les allégations d’ingérence chinoise dans les élections fédérales de 2019 afin de ne pas se mettre à dos les électeurs chinois des circonscriptions baromètres de Toronto et de Vancouver. Mais ce scandale a fini par lui éclater au visage, avec les révélations dans les médias des avertissements répétés sur l’ingérence chinoise que lui aurait lancés le Service canadien du renseignement de sécurité.
On est en droit de se demander si M. Trudeau aurait fait une sortie aussi dramatique pour annoncer que l’Inde serait impliquée dans l’assassinat d’un militant séparatiste sikh commis en banlieue de Vancouver en juin dernier s’il ne se préoccupait pas autant du sort des libéraux dans les circonscriptions où la population sikhe est majoritaire ou presque. La réaction du gouvernement indien à ses propos menace maintenant les relations du Canada avec le pays que tous nos alliés cherchent à courtiser pour contrer l’influence chinoise dans le monde.
Dans le dossier du conflit entre Israël et le Hamas, M. Trudeau, contrairement à certains de ses députés, ne peut pas contredire nos alliés sans qu’ils s’en aperçoivent. Tout comme pour la guerre en Ukraine, les enjeux de ce conflit sont trop importants pour que le premier ministre ose aller à contre-courant.
Certes, des divisions existent aussi au sein même de l’alliance occidentale, comme en témoigne la difficulté qu’ont les pays de l’Union européenne à s’entendre sur une position commune. Seul le premier ministre espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, qui lutte pour sa survie politique après avoir perdu les élections en juillet, a jusqu’ici exigé publiquement un cessez-le-feu. Mais, dans son cas, toute autre position ferait éclater la coalition de partis de gauche qu’il essaie de préserver afin de garder le pouvoir et d’éviter la tenue d’élections, qui pourraient mener à sa défaite définitive.
Le président américain, Joe Biden, n’est pas prêt à appeler à un cessez-le-feu, même s’il dit déplorer les conséquences des actions militaires d’Israël contre le Hamas pour la population de Gaza et qu’il milite pour une accélération dans la livraison d’aide humanitaire. D’abord, parce qu’il sait que le Hamas, un groupe terroriste qui se consacre à la destruction d’Israël, ne respecterait jamais ses conditions. Ensuite, parce que toute clémence envers cette organisation serait perçue comme une invitation, pour les ennemis des États-Unis, à commencer par l’Iran, à semer la terreur à travers la région et le monde.
Tout au plus M. Biden demande-t-il à Israël d’exercer une certaine prudence en menant sa campagne contre le Hamas. Il sait pertinemment que cette situation est un bourbier géopolitique qui risque de plomber sa présidence et de mener à de multiples conflagrations militaires ailleurs au Proche-Orient et dans le monde. La dernière chose dont il a besoin, c’est de voir un gouvernement canadien soucieux de plaire à l’opinion publique lui compliquer davantage la tâche, déjà si délicate. M. Trudeau semble l’avoir compris.
Basé à Montréal, Konrad Yakabuski est chroniqueur au Globe and Mail.