François Legault et les universités anglophones

Dans l’approche du gouvernement du Québec envers des institutions de la communauté anglophone, c’est difficile d’éviter l’impression qu’il y a une ignorance, et une méfiance, derrière ses gestes. L’attitude du premier ministre François Legault envers la communauté anglophone est un secret de polichinelle ; dans son mémoire, il a raconté ses batailles de rue avec les jeunes anglophones de l’Ouest-de-l’Île, et, dans son premier discours politique de candidat, il a rassuré les membres de l’association de comté du Parti québécois de sa hantise pour les Anglais.

M. Legault a déjà parlé de la Coalition avenir Québec comme d’une version moderne de l’Union nationale de Maurice Duplessis, et les points de comparaison ne manquent pas. Comme Duplessis, il a créé son parti en regroupant nationalistes et conservateurs. Comme Duplessis, il accepte mal la critique, dénonçant le journaliste Aaron Derfel, de The Gazette, quand il a découvert les conditions invivables dans le CHSLD Herron.

Son caucus n’a que deux députés de l’île de Montréal, et un seul anglophone ; un miroir, 70 ans plus tard, de l’emprise électorale de Duplessis. (En fait, en 1954, Duplessis a gagné six sièges sur l’île de Montréal, trois fois plus que Legault en 2022.)

Cette hantise est parfois marquée par la peur. Dans sa campagne électorale de 2018, il a dit qu’il « s’est réconcilié avec le Canada », mais a exprimé la crainte que « nos petits-enfants ne parlent plus français » à cause de l’immigration. Pendant la même campagne, il a avoué qu’il croyait qu’un immigrant puisse devenir citoyen canadien en quelques mois, tandis que ça prend trois ans.

Comme réconciliation avec le Canada, on a déjà vu mieux. De toute évidence, les Canadiens sont perçus comme des étrangers. Des étrangers riches, par contre, qui peuvent financer les universités québécoises en payant presque six fois plus que les étudiants québécois pour s’inscrire aux universités québécoises, à McGill, à Concordia ou à Bishop’s. (Les étudiants arrivant de la France vont continuer de payer les mêmes frais de scolarité que les jeunes Québécois.)

Ce geste fait suite à d’autres qui révèlent une attitude négative envers la communauté anglophone, comme si cette communauté n’avait pas le droit de gérer ses propres institutions qet u’il n’existait que grâce à la bienveillance de la majorité francophone. Donc, le gouvernement a déjà annulé le financement pour l’expansion de Dawson College, a limité l’inscription dans les cégeps anglophones d’étudiants qui n’ont pas étudié en anglais et a imposé une exigence de trois cours en français pour les étudiants anglophones au cégep — ce qui chambarde la planification de crédits et l’organisation du personnel enseignant.

Mais tout cela n’était que des hors-d’oeuvre. Le plat principal a été annoncé la semaine passée. Au lieu de considérer les universités anglophones comme un actif pour le Québec, elles sont perçues par ce gouvernement comme un passif, comme une menace à la santé culturelle et linguistique de la majorité.

Au contraire, McGill est l’une des universités les plus respectées en Amérique du Nord et la seule université canadienne qui est bien connue aux États-Unis. Concordia est un peu le pendant anglophone de l’UQAM : c’est souvent l’université de la première génération qui poursuit des études postsecondaires. Et Bishop’s joue un rôle particulier comme petite université avec une culture innovatrice et intime.

On se plaît souvent à dire au Québec que la minorité anglophone est la mieux traitée au Canada. Mais il n’y a aucune province, sauf le Québec, qui a fait un effort systématique au cours des dernières décennies pour affaiblir les institutions de la minorité. En Ontario, on est en train de bâtir une nouvelle université francophone, l’Université de l’Ontario français, qui a accueilli sa première cohorte en septembre 2021. Au Manitoba, le collège St. Boniface est devenu l’Université Saint-Boniface. Au Nouveau-Brunswick, l’Université de Moncton a célébré cette année son 60e anniversaire.

Historiquement, le mécénat ne faisait pas partie de la tradition francophone au Québec. Dans son mémoire Mes grandes bibliothèques. Mes archives, mes mémoires le bibliothécaire et archiviste Guy Berthiaume raconte comment il a travaillé pour faire sa marque dans le domaine de campagnes de finance3ment pour les universités francophones québécoises. « La collecte de fonds professionnelle, systématique et assumée était, jusqu’au début des années 1980, absente des universités francophones et elle faisait l’objet d’encore de beaucoup de préjugés dans les milieux intellectuels », écrit-il.

Par contre les universités anglophones y travaillent depuis le début de leur existence. Il y a, et il y a toujours eu, un effort soutenu pour créer un sentiment d’appartenance et de communauté chez leurs diplômés.

Maintenant, elles paient le prix de leur succès. Au lieu d’être valorisées et respectées comme des pôles d’attraction nationaux et internationaux, elles sont traitées avec mépris, comme des vaches à lait pour le réseau universitaire. Quelle honte !

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