Gloire aux harpies de Disney !

« Meilleur est le méchant. Meilleur est le film », proclamait avec raison Alfred Hitchcock. Reste que chez Disney, des méchantes davantage que leurs compères ont crevé l’écran de ses célèbres animations. Ces femmes au rire cruel, aux costumes extravagants, au nez crochu et aux accointances diaboliques semaient le malheur au royaume des gentils, en prenant la lumière.

Tant de générations d’enfants leur doivent leurs premiers frissons de terreur au cinéma ou à la télé. Il est doux d’avoir peur en son âge tendre. Sans ces dames à menton en galoche, à verrues poilues et à corbeau de compagnie, point d’action haletante ni de châtiment suprême sous chaos destructeur. Dans la lutte du bien contre le mal, l’accent tonique de Disney fut placé sur les monstres à jupon. Et pour cause. Les jolies princesses accablées par le sort, douces et lisses, ne font guère le poids face à ces créatures de panache et de conjurations. Aux furies, la foudre, la fureur et les grincements de l’enfer ! Aux sages mignonnettes, la complainte doucereuse d’Un jour mon prince viendra.

Le studio américain à tête de souris Miquette a eu 100 ans cette semaine. Remonter le parcours de Disney, c’est saluer en passant ses harpies, figures de noir pouvoir. Comment oublier la terrible Cruella d’Enfer des 101 dalmatiens, la perfide belle-mère déguisée en sorcière tendant sa pomme empoisonnée à Blanche-Neige, la fée Maléfique (la Carabosse du conte de fées) venue jeter un mauvais sort à la belle au bois dormant, la marâtre de Cendrillon et ses deux filles perverses ? Misogynes tant qu’on voudra, leurs profils raboteux ont délivré par l’absurde les femmes d’un destin de docilité et de candeur. Gloire à ces figures d’indépendance et de colère dont on goûta secrètement la révolte contre tous les ordres établis ! Pour Walt Disney, l’émancipation féminine conduisait peu ou prou au bûcher. D’où ces sabbats de sorcières. Par-delà son conservatisme, il n’aura jamais réussi à nous faire haïr ses démones. Tant mieux !

Le fondateur de l’empire avait pourtant édulcoré la férocité de nombreux contes de fées en les muant en dessins animés. Dans les versions traditionnelles de Cendrillon et consorts reprises par Perrault ou les frères Grimm, la violence se déchaînait en des raffinements d’une cruauté que le rêve américain couvrit d’un voile pudique. Mais sacrifier complètement les méchantes eût été pure folie d’un studio assoiffé d’expansion. Ces goules de la nuit font tellement un bon show.

Né dans un garage hollywoodien, il a tant régné sur la culture populaire avec spectre et couronne, cet empire du divertissement. La multinationale aux parcs d’attractions et aux ramifications infinies fut un as du marketing avant la lettre, première à exploiter à fond dès les années 1930 des produits dérivés, à coups de montres Mickey et de mains à quatre doigts sur trépied. Fleuron du XXe siècle, Disney goba Pixar, Star Wars et Marvel au XXIe siècle. Mais sa mascotte en noir et blanc Mickey Mouse tombera dès l’an prochain dans le domaine public et, 10 ans plus tard, sa version couleur. Sa plateforme Disney+ perd des plumes. L’ogre vacille et sacrifie des employés.

Les célébrations de son centenaire tombent pile pour remonter le moral des troupes. Un court métrage de neuf minutes, Il était une fois un studio, désormais sur Disney+, réunit Mickey, la fée Clochette, le capitaine Crochet, Dingo, Donald Duck, Aladin et autres hippopotames en tutu posant pour la postérité.

 

Depuis longtemps, Disney se faisait taxer de racisme et de misogynie dans ses films fleurant bon les valeurs d’antan. La petite sirène, tirée en 1989 du conte danois d’Hans Christian Andersen, donne à travers son remake de 2023 la vedette à l’actrice et chanteuse afro-américaine Halle Bailey, choix décrié par plusieurs comme une concession woke irritante à hurler. Le studio se trouve pris entre deux feux.

Les remakes de ses animations phares en prises de vues réelles n’ont pas toujours produit de grands fruits, tant la nostalgie des féeries anciennes en traversée du temps étreint le public. Classique des classiques, Blanche-Neige et les sept nains renaîtra en mars prochain avec panoplie d’acteurs. Déjà, en coulisses, des voix rouspètent. Voilà les nains remplacés par des créatures magiques, la belle au teint de lait incarnée par la Latino Rachel Zegler. Quant au dénouement, il efface le doux baiser du prince pour saluer l’émancipation de l’héroïne. Autres temps, autres moeurs. Plus grave : les vices de la belle-mère indigne seraient, dit-on, affadis au passage pour n’incommoder personne. Et là, c’est moi qui grogne. Respectez à tout le moins le tonus des méchantes. Non mais !

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