Votre grand-père, disparu des annales familiales, est-il mort à la guerre ? Votre grand-oncle ? Le cousin de vos aïeux ? Comment démêler les légendes familiales de la vérité ? Difficile, parfois, de vraiment savoir ce qui est arrivé… Au Canada, les registres ne permettent pas partout de trouver facilement qui est mort dans un conflit à l’étranger. Une situation en partie corrigée par un site privé créé par deux passionnés de généalogie, Josée Tétreault et Paul-Émile Richard. « Les soldats du Québec morts en service » permet de savoir, à la pointe du doigt, où reposent bien des soldats. Mieux : il donne aussi une meilleure idée, en certains cas, de qui étaient ces disparus.
« Je ne m’étais jamais intéressée vraiment à la guerre avant d’aller en France, en 2011, pour un voyage de généalogistes », explique Josée Tétreault. Lancée sur la trace de militaires disparus à la guerre, elle s’est rendu compte du vide qui existe à l’égard des soldats de son pays à l’heure de retracer leur vie.
« Depuis ce temps-là, je voulais créer un site Internet pour répertorier et honorer la mémoire de ces gens. Pendant la pandémie, je me suis retrouvée à peu près sans emploi. Ça m’a donné l’occasion de me mettre à fond dans ce projet. » L’affaire l’a beaucoup occupée. « Toutes mes soirées et mes nuits y ont passé. »
Des histoires, elle peut désormais en raconter des dizaines. Elles sont toutes plus touchantes les unes que les autres. « En Belgique, nous avons retrouvé les tombes des frères Henri et Albert Denis. Ils étaient tous les deux du 22e Régiment. Ils sont morts le même jour, le 24 septembre 1917. Leurs tombes sont côte à côte. Ils avaient un autre frère, Jules. Lui a survécu à ses blessures… » Ils étaient trois fils d’une famille de Montréal, installée rue Marie-Anne.
Josée Tétreault note au passage l’absurdité de la vie au temps des conflits. « Il y a plusieurs cas de soldats qui ont survécu miraculeusement à l’enfer de la Première Guerre mondiale. Mais quand ils reviennent au pays, ils meurent, frappés par la grippe espagnole ! »
Spécialisée en recherches généalogiques et en paléographie (l’étude des écritures anciennes), Josée Tétreault reste désormais à l’affût de tout ce qui concerne les guerres. « Pendant la pandémie, j’avais beaucoup de temps. J’ai vraiment passé toutes mes soirées et mes nuits là-dessus. Et comme Richardest informaticien, on a pu monter quelque chose de bien. »
Leur site s’est appuyé sur la collaboration d’informateurs étrangers. « Nous avons plusieurs bénévoles en Italie, en Belgique et en Hollande. Ils se sont rendus dans les cimetières pour nous. Ils ont tout répertorié. Il reste quelques lieux à inventorier. Nous avons même des photos et des vidéos des tombes. C’est incroyable, le travail qui a été accompli. »
Parfois, cela a conduit à des découvertes particulières. « Il y avait quatre soldats canadiens en Hollande qui se sont retrouvés cachés dans une cave. Ils ont gravé sur une poutre en bois, tandis qu’ils attendaient la mort, leurs initiales. J’ai pu, en croisant des informations, finir par les identifier. »
Les soldats inconnus
Les registres de l’état civil québécois ne permettent pas, à la différence de ceux de l’Ontario par exemple, de repérer facilement ceux qui ont été victimes de la guerre.
« Quand on regarde dans les registres de l’état civil au Québec, il n’y a rien pour indiquer qui est mort à la guerre. C’est comme si les gens étaient tout simplement disparus, sans laisser de trace. Ailleurs, souvent, c’est différent. Si quelqu’un est mort à la guerre, à l’étranger, ils le disent. C’est écrit. »
Puisque les sépultures des militaires inhumés outre-mer ne figurent pas dans les registres de l’état civil québécois, il peut parfois être très ardu de savoir ce qu’il est advenu d’un parent disparu. « Pour quelqu’un qui n’est pas très au fait de son histoire familiale, il est absolument impossible de savoir, à moins d’avoir des indices, que quelqu’un est mort pendant un conflit. »
Ce qui est accessible
Avez-vous des ancêtres qui ont connu la boucherie des guerres ? Les chances sont fortes que ce soit le cas. Lors de la Première Guerre mondiale, le Corps expéditionnaire canadien regroupait plus de 640 000 soldats. Bibliothèque et Archives du Canada propose, à travers ses dossiers colligés « du personnel de la Première Guerre mondiale », une puissante base de données au sujet de ces soldats. La plupart des documents d’engagement sont numérisés et accessibles facilement. Encore faut-il savoir s’y retrouver. Mais ce n’est pas si compliqué.
Sans indice préalable, la tâche devient parfois colossale. Les histoires familiales des soldats du passé gisent parfois sous le poids de l’oubli. Il était commun de ne pas parler de la vie de ces militaires revenus ou pas du front. Tout de leur vie finissait par être enterré sous les gravats du temps qui passe. Des vies meurtries par le feu des combats se sont dissipées.
L’État fédéral canadien donne aussi accès à certains dossiers. Il est également possible de consulter le Mémorial virtuel de guerre du Canada pour ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale. Dans ce cas, en revanche, les informations apparaissent nettement plus fragmentaires et difficiles à colliger, par exemple pour les conflits subséquents auxquels le Canada s’est trouvé mêlé : guerre de Corée, Afghanistan, etc.
La banque de données, montée patiemment par Josée Tétreault et Paul-Émile Richard, constitue un outil complémentaire à part. Ce site Web entend « rendre hommage aux Québécois qui ont donné leur vie au service de leur pays ». Sans eux, affirment-ils tous deux, « le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui ».
Sur leur site Internet (devoirdememoires.ca), il est possible de chercher des individus par leur nom, par le lieu de leur inhumation ou encore par le lieu où ils se sont engagés. L’outil est simple, facile d’accès. Et gratuit.