Les vers de terre sauveront-ils le monde ? La santé de ces artisans silencieux de la fertilité à la sexualité hermaphrodite, qui grouillent sous nos pieds, creusent, fouissent, absorbent et recrachent la matière organique morte, est peut-être la clé de notre survie.
C’est en tout cas ce que croient Arthur et Kevin, deux amis qui se sont rencontrés sur les bancs de la faculté d’agronomie à Paris, passionnés tous les deux de géodrilologie — la science des vers de terre — et rêvant de sauver le monde en se sauvant eux-mêmes.
Humus, finaliste au prix Goncourt, sixième roman de Gaspard Koenig, essayiste, romancier, philosophe libéral et homme politique français né en 1982, raconte leurs trajectoires divergentes en parallèle. Dans ce roman qui avance au galop, l’écrivain semble puiser autant chez Balzac que chez Houellebecq — en sachant bien tout ce que le second doit au premier.
Arthur, qui a grandi dans les beaux quartiers de Paris, fils d’un avocat spécialiste des droits de la personne, est un idéaliste. Venu de la campagne profonde, enfant unique d’ouvriers agricoles, Kevin est plus pragmatique, y compris dans sa sexualité d’« homme facile » — il est à voile et à vapeur.
En s’installant avec sa copine sur un petit lopin de terre prêté par son père dans la campagne normande, vestige réduit de l’exploitation agricole du grand-père, Arthur entend se livrer à ses expérimentations et régénérer grâce aux lombriciens les sols affaiblis par des décennies de pesticides et d’engrais chimiques. Un peu à la manière de Thoreau, qu’il admire, il entend y créer son propre Walden et ne dépendre de rien ni de personne.
Kevin, lui, a plus d’ambition. Resté à Paris, il compte grimper l’échelle sociale plutôt que de la redescendre. Après d’autres études en gestion, cette belle gueule va s’associer avec une collègue de classe aux HEC pour créer une entreprise de vermicompostage à grande échelle en vue de recycler des tonnes de déchets industriels. Après une spectaculaire collecte de fonds, un portrait élogieux de ce Rastignac du vermicompostage paru dans la presse laisse entendre qu’il aurait « vengé son prénom et tous ceux qui le portent ».
Aux yeux d’Arthur, sans surprise, Kevin s’est vendu au système « pour faire du fric avec les vers ».
Poussé d’un échec à l’autre — lombricien et amoureux — dans les derniers retranchements de son idéalisme, Arthur va se replier et « cultiver son jardin », au sens où l’entendait Voltaire, avant de se rapprocher de l’écologie sociale d’un Murray Bookchin et de finir par céder aux sirènes du mouvement Extinction Rebellion.
Mais rien ne coule de source dans ce roman d’apprentissage enlevant qui se double d’une satire sociale, ni pour l’un ni pour l’autre des héros, tous les deux absorbés et aussi vite recrachés par le système qu’ils entendaient globalement contester.
C’est le terreau fertile sur lequel Gaspard Koenig plante Humus. Un roman efficace qui porte une critique sociale parfois féroce, livrée avec beaucoup d’à-propos, visant entre autres des milieux des affaires où l’on carbure à l’écoblanchiment et à la « tartufferie verte ».