bonne surprise…
L’idée d’un nouveau Hunger Games avait de quoi inquiéter : ce nouveau film allait-il être, comme beaucoup de suite ou spin-offs de sagas, un résidu de fond de tiroir colmaté à la va-vite à coups d’effets numériques pour satisfaire quelques fans ? En réalité, le projet était dans les cartons depuis 2017, et il est le résultat d’un travail manifestement rigoureux. En tout cas, c’est le ressenti que donne le résultat final, car très peu de franchises peuvent se targuer de s’être aussi bien maintenues au fil des épisodes, notamment en se risquant à l’exercice du prequel.
Pour parler des qualités du film, il faut déjà noter que malgré sa longueur, jamais le rythme ne lasse ni n’épuise. Le scénariste Michael Arndt qui, en plus du deuxième Hunger Games, a aussi scénarisé Little Miss Sunshine, Toy Story 3 ou Le Réveil de la Force, fournit une écriture très complète, mais jamais superficielle. Si les actes bien distincts donnent parfois l’impression d’une trilogie rentrée au chausse-pied dans un seul film (la transition entre des phases de l’histoire radicalement différentes est parfois perturbante), les personnages sont réellement développés. Les séquences qui requièrent des respirations et du suspense, elles, sont volontiers étirées sans en faire trop (comme la scène de “chasse” en forêt).
Retour vers le futur de la télé-réalité
Par ailleurs, la direction artistique est à la hauteur de la saga originale, avec un Panem “vintage” inspiré de nos propres années 60 et 70 et des Hunger Games encore peu sophistiqués. Il faut dire que le film est visuellement plutôt réussi, avec une mise en scène solide et élégante (un choix peut-être un peu abusif du grand angle par moments, mais y’a pas mort d’homme), et des effets numériques très corrects quand on voit les soupes qu’a osé servir Hollywood ces dernières années. Pour la moitié du budget de The Flash (“seulement” 100 millions de dollars), cet Hunger Games terrasse n’importe quel Marvel récent sur le terrain de l’image (et du reste).
Mention spéciale à la séquence d’attentat dans l’arène et à son plan à 360° qui aligne les explosions. Un pari casse-gueule qui réussit finalement à en mettre plein la figure. Toutes ces qualités ne font pas du film un chef-d’œuvre, tant s’en faut, mais elles sont autant de marqueurs d’un travail honnête (à défaut d’être génial) qui offre aux fans et aux moins fans un blockbuster malin et efficace, dont la saga originale n’a pas à rougir. Ceci étant dit, il est tout de même temps de s’attarder sur les défauts qui tirent le film vers le bas.
Tom Blyth ou le de-aging de Donald Sutherland
… Et petite déception
C’est un gros regret, mais le point noir du film est de taille, puisqu’il s’agit du personnage de Lucy Gray incarné par Rachel Zegler. Alors que tout le monde avait hâte de voir une nouvelle performance de la jeune actrice après qu’elle a été révélée dans West Side Story de Steven Spielberg, ce n’est pas cet Hunger Games qui lui permettra de transformer l’essai. Figure convenue de poupée mi-effrontée mi-innocente, Lucy Gray est trimballée à droite et à gauche là où les autres voudront bien l’emmener, et n’existe que comme support de l’évolution du personnage de Snow.
Rajoutons à ça ses nombreux passages chantés qui arrivent comme un cheveu sur la soupe et plongent trop de séquences dans des affres de niaiserie gênante (la présentation du personnage sur l’estrade des tributs est particulièrement ratée tant elle est mal amenée), et on obtient un personnage très difficile à rendre convaincant, qui que soit son interprète.
Attention, elle va (encore) chanter
Comment ce name-dropping complètement artificiel de Katniss et la citation de sa révérence iconique pouvaient provoquer autre chose qu’un terrible grincement des dents ? Rachel Zegler se repose donc surtout sur des mimiques irritantes, qui rappellent davantage l’immaturité du jeu d’une Keira Knightley dans Pirates des Caraïbes que le charisme d’une Jennifer Lawrence dans les premiers volets de la saga.
Heureusement, autour d’elle, la galerie de personnages secondaires consolide efficacement l’ensemble, Viola Davis et Peter Dinklage en tête. (sans oublier Jason Schwartman en présentateur télé, qui reproduit à merveille les attitudes de Stanley Tucci). Avec des looks impayables et une psychologie fine et intéressante (à tel point que le souhait d’un spin-off sur ces personnages-là se ferait presque sentir), ils apportent tout son sel au film, et renvoient parfaitement la balle au personnage de Snow dont le virage idéologique est plutôt bien écrit et négocié.
Un rôle qui rappelle Tyrion Lannister, mais pas seulement
Le retour du blockbuster engagé
La puissance d’une saga comme Hunger Games, c’est la pertinence et la clairvoyance de sa teneur politique, complètement assumée. Sauf que depuis la sortie du dernier volet, Trump a été président des États-Unis et, pour un tas de raisons (liées ou pas), les discours réactionnaires se sont décomplexés (pas qu’aux États-Unis, d’ailleurs). Beaucoup de la dimension potentiellement sociale ou progressiste des productions hollywoodiennes a été atténuée, pour moins cliver un public que les blockbusters veulent toujours plus larges.
Par exemple, Disney repousse toujours les limites du puritanisme, ne montre plus jamais une goutte de sang et n’acte jamais la mort d’un personnage (et n’assume donc jamais de parler de réelle violence). James Cameron, de son côté, a proposé un Avatar 2 beaucoup plus tradi que le premier. Quant à Tom Cruise, il donne dans la redite nationaliste de Top Gun. En France, la ligne marketing à la mode tabassée par les acteurs lors de la promo des films est le fameux “on ne veut pas faire de politique”.
Il est donc plaisant qu’un film grand public comme cet Hunger Games revendique encore, au bout du 5e volet et en pleine montée de l’extrême-droite, un film à la fois accessible et éclairé sur les mécanismes qui mènent au fascisme. Si les décors qui représentent presque à l’identique l’entrée du camp de concentration d’Auschwitz manquent de subtilité et de pudeur, ils affichent sans détour le caractère engagé du film. La bonne idée étant notamment de faire de Snow le personnage principal, qui subit la misère et l’humiliation qui vont nourrir sa violence, et de permettre au spectateur de s’y identifier pour que chacun puisse voir en soi le risque du glissement vers la haine.
Encore une fois, sous le spectacle, c’est une écriture intelligente qui achève de faire de cet Hunger Games un film à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre. Pas plus, certes, mais pas moins.