Hyperactivité, trouble de l’attention… L’autodiagnostic de pathologies mentales explose sur les réseaux sociaux

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« J’ai tous les symptômes de l’hyperactivité », « je viens de découvrir que j’étais TDAH » ou encore « je suis certaine d’être bipolaire »… De plus en plus d’internautes semblent aujourd’hui se découvrir des pathologies ou troubles mentaux derrière leur écran, grâce aux réseaux sociaux. Sur TikTok, mais aussi YouTube, Facebook ou Instagram, des influenceurs « en santé mentale », ou de simples internautes qui partagent leur expérience personnelle, expliquent ainsi comment s’autodiagnostiquer et prodiguent leurs conseils en 30 secondes chrono.

Une tendance qui a pris de l’ampleur au sortir de la crise du Covid, si bien que le hashtag #selfdiagnosis (autodiagnostic) cumule aujourd’hui plusieurs millions de vues sur TikTok, tout comme les mots-clés #bipolardisorder (troubles bipolaires), #HPI (haut potentiel intellectuel), #autism (autisme), #depression ou #anxiety. Le hashtag TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) atteint quant à lui près de trois milliards de vues sur la plateforme chinoise. « Voici six signes ou symptômes du TDAH que tu dois rechercher si tu penses qu’il affecte ta vie ou celle de quelqu’un que tu connais », explique notamment une vidéo, abondamment relayée sur TikTok. Dans les commentaires, de nombreux internautes paniqués – et surtout persuadés- de se découvrir atteint de ce syndrome.

« On peut enfin parler publiquement de santé mentale »

De nombreux psychiatres et psychologues ont également noté cette tendance à l’autodiagnostic et à l’automédication sur les plateformes, qui seraient devenues une sorte de « cabinet psy » à portée de clics. « Avec un ensemble de collègues, mais aussi avec plusieurs associations, on s’est rendu compte de ce phénomène à travers les personnes qui venaient consulter à l’hôpital. Ça concerne notamment les troubles de l’attention avec hyperactivité, les troubles bipolaires mais aussi d’autres pathologies comme l’autisme », explique Jasmina Mallet, médecin psychiatre à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris. « Certains expliquent avoir suivi les conseils d’influenceurs, qui se filment et qui proposent des conseils pour se soigner ».

L’anonymat possible sur les réseaux sociaux a permis de libérer progressivement la parole autour des troubles mentaux. « Le côté positif aujourd’hui, c’est qu’on peut enfin parler publiquement de santé mentale, de choses qui ne vont pas bien. C’est ce qu’on appelle le « sadfishing », le fait de parler de ses problèmes émotionnels sur Internet. C’est bien de dire quand ça ne va pas, en opposition à cette tyrannie du bien-être ou du bonheur éternellement affichée sur les réseaux sociaux. Mais comme toujours, il y a des dérives », explique Michael Stora, psychologue et psychanalyste, spécialisé dans les pratiques numériques.

« Ça m’a fait du bien d’essayer de trouver une cause à mon mal-être »

Beaucoup d’internautes – la plupart du temps assez jeunes – s’autodiagnostiquent en effet à tort certaines pathologies. Chloé, étudiante de 19 ans, était sûre d’être atteinte d’un trouble du déficit de l’attention [trouble qui atteint le champ de l’attention et de la concentration, et peut s’accompagner d’impulsivité et d’hyperactivité], après avoir vu une vidéo dans laquelle on listait les principaux symptômes. Après en avoir parlé à ses parents, elle décide d’aller voir son médecin généraliste. « Il m’a tout simplement expliqué que j’allais très bien. Et que surtout seul un spécialiste pouvait réaliser un tel diagnostic, qui nécessite plusieurs consultations », explique la jeune femme, qui relativise aujourd’hui la portée de ce genre de vidéos. « Sur le coup, ça m’a fait du bien d’essayer de trouver une cause à mon mal-être ».

Michael Stora explique lui aussi recevoir de plus en plus de jeunes patients persuadés d’être atteint de troubles mentaux. « Ils me ramènent des pages Google en m’expliquant de quoi ils souffrent. Pour eux, le fait de pouvoir nommer leur souffrance, c’est comme une manière d’intellectualiser les choses, et finalement ça fait baisser leur niveau d’anxiété. C’est une stratégie, un mécanisme de défense pour neutraliser une angoisse. J’essaye très souvent de leur expliquer en quoi leur autodiagnostic est erroné ». Selon le psychanalyste, les réseaux sociaux ont mis en lumière une dimension difficile à combler dans la vraie vie. « Pour poser un véritable diagnostic médical, il faut du temps. Seulement voilà, les gens aujourd’hui – surtout les jeunes – veulent des réponses rapides, que souvent ils pensent trouver (à tort) en ligne ».

Une « glamourisation » des troubles mentaux

Autre élément pour comprendre cette nouvelle tendance. Avoir une pathologie mentale serait devenu « très à la mode ». « Le fait de montrer qu’on souffre, qu’on est différent, c’est une manière de montrer qu’on existe, et finalement de dire ”aimez-moi”. Et avec le modèle économique des réseaux sociaux, on en arrive très vite à une course aux likes. Si bien qu’aujourd’hui on pourrait parler d’une certaine ”glamourisation” des troubles mentaux », explique Michael Stora, qui prend pour exemple la multiplication des fictions télés autour de ces troubles psychiques.

Mais pour les professionnels de santé, cette tendance à l’autodiagnostic n’est pas à prendre à la légère. « Seuls des professionnels peuvent établir un diagnostic, et proposer, le plus tôt possible, une prise en charge médicale adaptée », rappelle Jasmina Mallet, médecin psychiatre à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris. « L’un des risques, c’est de tomber dans une forme de complaisance des symptômes, et de ne pas entamer un réel suivi psychologique », ajoute Michael Stora. « L’une des solutions serait peut-être que de véritables professionnels puissent interagir directement avec les internautes afin de les aiguiller », estime le psychanalyste.

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