« J’aurais peur que mon conjoint oublie la pilule et que mon corps en paie le prix »

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La pilule masculine, ou le Graal tant espéré. Une équipe de scientifiques a déclaré, en mars dernier, avoir développé une pilule contraceptive masculine sans hormone efficace à 99 % chez les souris. Bien qu’aucune ne soit pour l’instant prête à être mise sur le marché, à 20 Minutes, on aime bien rêver. Et on a poussé le raisonnement un peu plus loin.

À l’occasion de la Journée mondiale de la contraception ce mardi, on s’est donc posé une question : si une pilule masculine efficace était créée, les femmes abandonneraient-elles pour autant leur stérilet, leur implant ou leur propre pilule ? D’après les réponses à notre appel à témoignages, rien de moins sûr.

La peur de tomber enceinte en cas d’oubli

Pour certaines femmes qui nous ont répondu, l’abandon de leur propre contraception dépendra surtout du type de celle prise par leur homme. « Si ce qui est proposé à mon conjoint est une pilule quotidienne, je n’abandonnerai pas ma contraception pour autant, par peur qu’il l’oublie et qu’au final, ce soit mon corps qui en paie le prix, confie Aude, 55 ans. En revanche, s’il s’agissait d’un implant ou de tout autre moyen sans gestion quotidienne, j’arrêterais clairement ma contraception. »

Mais ce n’est pas tout. « La question de la confiance est aussi beaucoup liée à la sociabilisation genrée. Les femmes, dès leurs premières règles, ont appris qu’elles pouvaient avoir un enfant et qu’elles devaient faire attention, analyse la socioanthropologue. Souvent, leur mère les emmène chez le gynécologue pour prendre la pilule puis elles y retournent souvent tous les deux ans. Ce n’est pas le cas pour les hommes. Pour eux, la question de l’enfant est désincarnée. »

Cette peur de l’oubli semble omniprésente parmi les témoignages reçus. « Je ne pourrais jamais faire complètement confiance à mon conjoint, qui oublie constamment ses clés ou ses papiers », regrette Alice, 45 ans. Car en cas de pilule non ingérée, c’est bien un seul des deux ventres qui s’arrondira. « Comment faire confiance à quelqu’un qui ne subira pas pleinement les conséquences d’un oubli ? », insiste la quadragénaire. Selon Alexandra Afsary, socioanthropologue et collaboratrice scientifique à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale, « ce manque de confiance est notamment lié à des stéréotypes de genres, dans lesquels la femme serait plus responsable et l’homme davantage pulsionnel. »

Un bébé « dans le dos »

Mais l’oubli n’est pas la seule crainte des femmes qui choisiraient de poursuivre leur propre contraception. Solenn, 30 ans, aurait surtout peur qu’un homme lui mente en lui affirmant à tort prendre la pilule. « Je continuerais quand même mon contraceptif pour maîtriser ce qui pourrait se passer. Parce qu’un bébé dans mon dos, ce serait un bébé dans mon ventre, avec toutes les conséquences que cela implique en cas de grossesse non désirée. » Une vision partagée par la socioanthropologue. « La contraception dans les mains des femmes est avant tout un pouvoir. Il ne faudrait pas que le fait que les hommes se contraceptent retire aux femmes leur libre choix. »

La question est-elle donc avant tout celle du type de relation dans laquelle on se trouve ? Virginie, 47 ans, fait une grande distinction entre un compagnon et un coup d’un soir. « Pour les relations sans lendemain, préservatif obligatoire, pour ne pas tomber enceinte mais aussi pour préserver ma santé. » Elle laisserait par contre volontiers son conjoint prendre la charge de la contraception. « Cela me plairait assez bien que cela soit partagé. »

La pilule masculine, c’est le « rêve de beaucoup de femmes », selon Marina, 33 ans. « Nous devons gérer la contraception, les règles, les grossesses, les accouchements, bref, tout ce qui concerne le médical. » Alors elle laisserait volontiers son homme prendre son petit comprimé quotidien. Pour elle, l’excuse de l’oubli n’est pas valable car « une femme aussi peut oublier. »

La ceinture et les bretelles

Et certaines femmes se montrent plus mitigées. « Deux contraceptions valent mieux qu’une ou pas du tout », considère Amira, 45 ans. Même discours pour Solenn, 30 ans, y voyant « une double sécurité pour les femmes. » « Il vaut mieux trop que pas assez. »

Alexandra Afsary plussoie. Selon la socioanthropologue, la contraception ne devrait pas être perçue comme un moyen unilatéral. « C’est le cas aujourd’hui, car les contraceptions qui existent sur le marché sont exclusivement destinées aux femmes, mais c’est récent à l’échelle de l’histoire de la contraception. Avant ces méthodes médicales, la contraception était l’affaire du couple. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la baisse de la natalité a débuté avant l’autorisation de la pilule, avec des méthodes comme celle du calendrier ou du retrait [efficace à seulement 73 % en pratique, on le rappelle, contre 92 % pour la pilule et 99,8 % pour le stérilet, selon l’OMS]. »

Alors, que faire ? Alexandra Afsary prône une responsabilisation individuelle. « Si un homme ne veut pas d’enfant, il faut aussi qu’il prenne ses responsabilités. Cela passera par une sociabilisation différente mais aussi une éducation sexuelle moins genrée avec la question du préservatif réservée aux hommes et celle de la contraception aux femmes. » Une vision que partage Alice, 45 ans. « Les hommes de ma génération n’ont jamais été habitués à se responsabiliser sur ce sujet. Peut-être que les prochaines générations comprendront l’importance de ce partage, à nous de l’expliquer à nos enfants. » Le message est passé.

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