Jean-François Roberge, le mollasson | Le Devoir

Quand le premier ministre Legault a retiré à Simon Jolin-Barrette la responsabilité du dossier de la langue pour la confier à Jean-François Roberge, plusieurs y ont vu le signal qu’il préférait voir à ce poste quelqu’un de plus conciliant.

On disait que M. Jolin-Barrette aurait souhaité que le projet de loi 96 prévoie l’extension au niveau collégial des dispositions qui régissent l’accès à l’école anglaise, mais que M. Legault s’y était opposé de façon catégorique. Lorsqu’il était ministre de l’Éducation, M. Roberge n’en voyait pas davantage la nécessité.

Cette semaine, M. Roberge n’a rien trouvé à redire à propos de l’initiative du Cégep Garneau, à Québec, qui a programmé une « English Week » durant laquelle les professeurs étaient invités à utiliser l’anglais dans leurs cours, tandis que les étudiants échangeraient entre eux dans la langue de Shakespeare.

Aux yeux du ministre, cet événement n’était pas différent des autres semaines thématiques organisées par le collège afin de stimuler l’intérêt pour la philosophie ou encore pour le… français. Il n’a pas semblé lui être venu à l’esprit que, même à Québec, l’anglais n’a besoin de l’aide de personne pour assurer sa promotion et que le défi consiste plutôt à enrayer sa progression au détriment du français.

En bon soldat qu’il est, M. Roberge a peut-être cru aller au-devant des désirs du premier ministre en voulant démontrer que le Québec avait l’esprit ouvert, quoi qu’on en dise dans le reste du pays. Après tout, il est également le ministre responsable des Relations canadiennes, et une semaine de promotion de l’anglais dans un collège n’est pas la fin du monde.

Il a plutôt réussi l’exploit de s’attirer le blâme de l’opposition et de son propre gouvernement. Connaissant M. Legault depuis des années, il aurait pourtant dû savoir qu’en matière de langue, il a toujours préféré les cocoricos ou les cris d’alarme aux actions audacieuses. Il n’allait pas manquer une aussi belle occasion de claironner son souci de la protection du français. « Ce n’est pas une bonne idée. Il y a déjà assez d’anglais chez les jeunes et en général au Québec », a tonné Legault.

M. Roberge s’est ravisé instantanément, se disant « tout à fait d’accord avec le premier ministre ». Si on veut vivre longtemps en politique, et plus encore au Conseil des ministres, on ne conteste pas publiquement la position du chef, peu importe qu’il ait tort ou raison, mais aussi bien sa position de départ que son humiliante volte-face l’ont fait passer pour un mollasson et ont renforcé les doutes de ceux qui se demandaient déjà s’il était bien l’homme de la situation.

À sa décharge, il ne lui appartenait pas de donner des directives aux établissements d’enseignement. Ni M. Legault ni la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, qui s’est également montrée critique de l’initiative du Cégep Garneau, ne sont allés jusqu’à lui demander formellement d’y renoncer.

 

À la surprise de plusieurs, c’est plutôt le député libéral de Pontiac, André Fortin, qui s’en est chargé. « Pour nous, c’est mal avisé », a-t-il dit. Il est vrai que le Parti libéral du Québec (PLQ) a parfois des sursauts de conscience linguistique aussi inattendus que passagers dans l’espoir de se rapprocher de l’électorat francophone.

Le bref règne de Dominique Anglade a été marqué par une série de revirements qui ont eu pour effet de mécontenter aussi bien les francophones que les anglophones. Dans l’état où se trouve présentement le PLQ, que personne ne semble avoir envie de diriger, rien de ce que disent ses porte-parole ne peut être tenu pour une position consensuelle et encore moins définitive. N’empêche, pour une fois que quelqu’un a eu un bon réflexe, M. Roberge aurait pu s’abstenir de dénoncer les « élucubrations libérales ».

En janvier dernier, quand il a annoncé l’élaboration, en collaboration avec cinq de ses collègues, d’un grand plan d’action qui doit être présenté cet automne, M. Roberge avait expliqué que sensibiliser la population à la précarité de la situation du français et à l’urgence d’un redressement était au coeur de ses responsabilités ministérielles.

Personne ne souhaite alimenter les tensions linguistiques, mais assurer la prédominance du français ne peut malheureusement pas se faire dans une parfaite harmonie. N’en déplaise aux apôtres du bilinguisme, la dynamique des langues au Québec est bel et bien un jeu à somme nulle.

Les chiffres ne mentent pas : les avancées de l’une entraînent nécessairement des reculs de l’autre, et l’anglais bénéficie d’un énorme avantage au départ, que renforce encore notre appartenance à la fédération canadienne. On s’attend à ce que le ministre chargé officiellement de défendre la langue française reconnaisse cette réalité et en tienne compte en tout temps.

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