Il y a 25 ans, Jean-Thomas Jobin apparaissait comme un extraterrestre dans le paysage humoristique québécois avec son style absurde à l’extrême. Le personnage décalé et stoïque de ses débuts cède peu à peu le pas à sa véritable personnalité sur scène. Son nouveau one-man-show est sans doute son plus intimiste en carrière, son plus accessible aussi par la force des choses, mais le gagnant de la première saison de Big Brother Célébrités ne se dénature pas non plus. Que ses admirateurs de la première heure se rassurent : il ne sera jamais aussi grand public que Martin Matte ou Louis-José Houde.
« Oui, je raconte plus de choses qui sont tirées de ma réalité dans ce spectacle. Si c’est mon spectacle le plus accessible, tant mieux, mais ça ne part pas d’une volonté d’élargir mon public. Ça part d’une envie de prendre un risque. Je ne veux pas être paresseux et refaire ce que j’ai déjà fait. Ça peut paraître paradoxal, mais me mettre en danger, ça me sécurise », explique Jean-Thomas Jobin, d’un naturel anxieux.
Ce nouveau one-man-show, comme les trois précédents, suit un fil conducteur foncièrement absurde. En fait foi le titre, Dix stricts trente thés un, un jeu de mots dans la plus pure tradition « jobinienne » dans lequel il ne faut voir aucun sens caché. Il n’y en a tout simplement pas.
Mais certains éléments de ce nouveau spectacle sortent moins de nulle part. Comme les passages sur les décès de ses parents, survenus à quelques mois d’intervalle. Ou sur l’anxiété qui le ronge à l’idée de vieillir.
« Quand mes parents étaient en vie, j’avais peur de la mort. J’avais peur de leur faire subir le deuil d’un enfant. Aujourd’hui, la mort ne me fait plus peur. Mais vieillir reste une grande source d’angoisse. Je n’aime pas savoir qu’il m’en reste moins devant que derrière. Au fond de moi, je n’ai pas l’impression d’avoir l’âge que j’ai. Je me sens encore comme un gamin », confie l’humoriste, qui ne fait pas ses 48 ans.
Un gamin plus mature
Il lui aurait été inconcevable en début de carrière de se livrer de la sorte. Quand il a commencé dans le métier, Jean-Thomas Jobin se contentait d’incarner quelqu’un d’autre sur scène, enfilant les blagues les plus loufoques les unes que les autres sur un ton monotone et faussement détaché. Même en entrevue, il ne déviait pas de cet alter ego scénique.
« Je ne m’autorisais pas à sortir de mon personnage, car je me disais que les gens ne me croiraient plus si j’y revenais ensuite sur scène. Mais finalement, je me suis rendu compte que j’étais un peu trop by the book. La plupart des gens comprennent que parfois, je joue et que ce que je raconte n’est pas vrai. Alors que d’autres fois, je parle vraiment de ma réalité », constate-t-il avec le recul.
Pour une personne aussi pudique que lui, cette carapace aura eu le mérite de le protéger longtemps des regards extérieurs, des curiosités malsaines sur sa vie privée et de tous les inconvénients qui viennent avec ce vedettariat qu’il exècre.
Car Jean-Thomas Jobin n’a jamais rêvé d’être devant les projecteurs. Grand fan de Seinfield et de La fin du monde est à 7 heures, il s’était inscrit à l’École nationale de l’humour à la fin des années 1990 pour suivre la formation d’auteur, et non pas celle d’humoriste. Mais la directrice, Louise Richer, aura saisi tout son potentiel en audition.
« Je n’avais jamais fait d’humour. Je n’avais jamais fait d’impro. Ma seule expérience, c’était d’avoir été dans le cours d’art dramatique en secondaire 5. J’étais terriblement gêné. Quand je faisais des exposés oraux, je cachais mes mains et je tremblais. Mais ultimement, je savais que je serais le meilleur pour interpréter mes textes. J’avais juste besoin d’être poussé », raconte celui qui, même à l’orée de la cinquantaine, demeure quelque part cet adolescent réservé, à mille lieues des autres humoristes aux personnalités extraverties.
Une transition naturelle
Son personnage lui aura, en quelque sorte, procuré le courage de monter sur scène en début de carrière. Puis les balados, où il est invité de manière récurrente, l’ont forcé progressivement à sortir du rôle qu’il s’était donné. Jusque-là, on ne savait que très peu de choses sur lui, outre le fait qu’il vouait un culte à la téléréalité Survivor. Aujourd’hui, il accepte de s’épancher sur sa vie de célibataire sans enfant ou sur sa gêne maladive dans l’optique d’en rire plus tard.
Sa participation à la première saison de la téléréalité Big Brother Célébrités, en 2021, a aussi eu pour effet de fendre un peu plus l’armure. « Tu ne peux pas jouer un personnage pendant 90 jours quand tu es enfermé dans une maison et filmé presque en permanence. Disons que mon personnage s’est fissuré. Ça n’aurait pas été naturel de reprendre mon personnage comme si de rien n’était. Mon personnage absurde est toujours là dans ce spectacle. Mais quand je parle de choses qui me sont arrivées pour vrai, je suis plus dans le sarcasme que dans l’absurde. C’est comme ça que je suis dans la vie », résume-t-il.