Le prestigieux prix Médicis, remporté jeudi par Kevin Lambert pour Que notre joie demeure (Nouvel Attila / Héliotrope), couronne le talent de l’auteur de Chicoutimi. Et le battage médiatique qui entoure – et entourera… — cette récompense, octroyée seulement pour la troisième fois à un québécois, confirme aussi Kevin Lambert comme « écrivain médiatique ». En quelques années, il a fait son chemin de la revue Moebius aux entrevues du Monde et de Télérama ; il a été le sujet d’une chronique du Journal de Montréal et d’une du Figaro ; il a fait de l’escrime sur réseau social avec le premier ministre François Legault et avec le « Goncourisé » Nicolas Mathieu. Regard sur le chemin qu’a fait sur la place publique, ici et en France, un auteur québécois au panache médiatique et intellectuel désormais incontestable.
Il y a eu au Québec Michel Tremblay. Victor-Lévy Beaulieu. Dany Laferrière — grand écrivain médiatique, capable de jouer les Miss météo à la télé, de faire de la critique d’art de haut vol, de fustiger les chroniques de Richard Martineau, de citer Borges, d’être un chouchou à l’émission télé Tout le monde en parle.
Il y a eu Marie Laberge et Chrystine Brouillet, adorées du grand public, mais qui ne sont pas arrivées, surtout quand Mme Laberge s’est lancée dans l’auto-édition, à être autant reconnue pour leur écriture par le milieu littéraire. Il y a eu, récemment, Kim Thúy et Simon Boulerice, aussi.
« Souvent au Québec, les écrivains médiatiques devaient aussi être un peu autre chose ; ou parler d’un peu autre chose que la littérature », explique David Bélanger, professeur de littérature à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Des écrivains qu’on voyait à la télé partager une recette, un souvenir de famille, ou faire un le grand écart ; qui étaient dans les médias aussi comme comédien, ex-restauratrice, chroniqueur sur un sujet autre que les livres et l’écriture.
La première ligne
David Bélanger s’intéresse depuis des années à ce qu’il appelle « l’écrivain de première ligne ». « Pour quelqu’un qui n’a aucune idée de ce qu’est la littérature », explique-t-il, « et qui ne s’y intéresse pas, c’est “l’écrivain de première ligne” qui représente la littérature. »
Et c’est un écrivain qui façonne, par son implication dans l’espace public, l’idée collective qu’on se fait de ce qu’est un écrivain, de ce qu’est la littérature.
Selon M. Bélanger, Kevin Lambert prend maintenant le relais de Dany Laferrière pour tenir ce rôle. L’Académicien a délaissé son occupation médiatique au Québec depuis quelques années, raréfiant ici ses présences publiques.
Les fans de culture connaissent M. Lambert depuis déjà un moment : l’auteur a été régulièrement invité, surtout à partir de son deuxième livre, Querelle de Roberval (Héliotrope / Nouvel Attila, 2018), à la radio de Radio-Canada — Plus on est de fous, plus on lit ! ; La soirée est (encore) jeune.
Si les « initiés de la littérature » l’avaient entendu, c’est l’escarmouche Facebook avec François Legault, l’été dernier, qui a fait apparaître clairement Kevin Lambert comme écrivain dans les médias pour un plus grand public, selon M. Bélanger.
Rappelons que François Legault avait fait une mini-critique positive de Que notre joie demeure. Kevin Lambert n’avait pas apprécié ce qu’il avait perçu comme une compréhension unilatérale de son oeuvre, aux points de vue multiples, et de la crise du logement. Il l’avait décrié vertement, se positionnant aussi politiquement.
Dire avec des mots simples
Selon David Bélanger, Kevin Lambert est l’écrivain médiatique le plus intellectuel et le plus rayonnant que le Québec ait connu à ce jour.
« Il a une position d’intellectuel tourné vers une forme de savoir plus proche, par exemple, d’Alain Farah, qui a été très investi dans sa présence médiatique et semble s’en être maintenant détaché », analyse le professeur.
« Ces deux-là ne vont pas parler de la littérature pour parler d’autre chose. Et ils vont dans les médias pour ne parler que de littérature. Ils le font bien, avec des mots simples, et peuvent porter des concepts complexes », comme la lecture sensible en édition, par exemple.
« Ils restent, dans leurs prises de parole très proches du public. Ils rendent les choses facilement compréhensibles. » Lambert et Farah sont d’ailleurs enseignants de littérature, et savent faire acte de pédagogie.
Intellectuel de télé
« Je pense que la plupart des écrivains n’ont pas besoin de se définir médiatiquement de façon forte, étant donné qu’il n’y a pas beaucoup de bruit autour d’eux », selon David Bélanger.
« Kevin Lambert a été invité à le faire dans un climat polémique. » Et il l’a fait avec charisme et aisance.
Et si nécessaire, avec une répartie réellement souriante, cinglante et joueuse, comme lors de son entrevue à Tout le monde en parle où il a recadré une citation de Denys Arcand, en rappelant que Shakespeare avait des sources, faisait des recherches, et n’était pas l’écrivain souverain et auto-solo-inventif que le réalisateur se figure.
Il est également photogénique, capable d’être d’une beauté foudroyante sur un cliché glorieux, ou de s’afficher en voisin ordinaire et sympathique autant à la télé que sur les réseaux sociaux.
« Ce que Kevin Lambert est en train de dire, par sa manière médiatique, c’est qu’on peut être un intellectuel, savoir ce qu’on fait, vouloir le faire, bien le définir, le définir en profondeur, sans perdre pour autant l’attention et la pertinence médiatique qu’on veut avoir », poursuit David Bélanger.
« Là, ça va être intéressant de voir comment il reprend sa propre trajectoire. Parce que c’est aussi une fulgurance. » Et parce que la durée compte également dans le rôle des écrivains médiatiques, et peut user : Michel Tremblay, par exemple, a été un solide écrivain médiatique, et ne l’est plus.
« Un troisième livre avec un succès tel que celui que vit Kevin Lambert… C’est intrigant de voir ce que ça va donner. Est-ce qu’il va exploiter cette position-là ? », qui peut être aussi éreintante à tenir, ou « est-ce qu’il va vouloir s’en détourner ? » Kevin Lambert arrivera-t-il à continuer faire de sa présence médiatique un « exercice de joie », comme il le dit lui-même, qui lui permet d’être en contact avec des lecteurs, des auteurs et de parler de littérature — une de ses passions ?
À suivre… dans vos médias.