Le gouvernement Legault a annoncé lundi un assouplissement des règles encadrant la formation dans le domaine de la construction afin de remédier à la pénurie de main-d’oeuvre dans ce secteur excessivement réglementé. Le principal syndicat de la construction a réagi de manière on ne peut plus prévisible, en défendant les acquis d’un corporatisme voué à l’échec.
Il est abondamment question de la crise du logement dans le débat public au Québec, mais trop peu d’attention est accordée aux politiques qui doivent être mises en avant afin d’accélérer les mises en chantier et bonifier l’offre de logements disponibles.
Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, il faudra construire au moins 860 000 logements d’ici 2030 au Québec pour rétablir l’abordabilité. Il faudra des bras pour que cette corvée puisse se concrétiser.
Or, il en va de la construction comme de la plupart des métiers et professions dans ce Québec vieillissant. Là aussi, la pénurie de personnel menace de transformer d’ambitieux projets collectifs en illusions perdues. À l’heure actuelle, Québec estime qu’il manque environ 6500 travailleurs dans l’industrie de la construction.
Le gouvernement Legault répète l’expérience de la formation accélérée pour les préposés aux bénéficiaires en élaborant un programme d’études rémunérées de quatre à six mois dans la construction. De nouvelles attestations d’études professionnelles seront offertes pour cinq métiers : charpentier-menuisier, ferblantier, frigoriste, opérateur de pelle mécanique et opérateur d’équipement lourd. L’initiative pourrait permettre de recruter de 4000 à 5000 travailleurs supplémentaires d’ici l’été prochain.
Sans surprise, la FTQ-Construction a mal réagi. Selon son directeur général, Éric Boisjoly, le projet va « cannibaliser tous les autres métiers ». La présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), Josée Scalabrini, abonde dans ce sens. Elle craint même que les élèves soient poussés « des formations complètes vers des demi-formations ».
Il s’agit de prémisses mal fondées. Comme le rappelle l’Association de la construction du Québec, les travailleurs actifs ne vont pas quitter un emploi à 40 $ l’heure pour une formation à 25 $ l’heure. Le programme s’adresse à une clientèle différente, qui pourrait être tentée par une réorientation de carrière à coût abordable. Qui plus est, Québec a assorti son programme d’un incitatif pour que les étudiants en formation poursuivent leurs études. Ils pourraient obtenir une bourse de 9000 $ à 15 000 $ à l’obtention de leur diplôme d’études professionnelles (DEP).
Les syndicats soulèvent des préoccupations légitimes en matière de santé et sécurité, mais encore là, leur critique du nouveau programme tombe à plat. Dans les métiers visés par l’annonce, 89 % des travailleurs accèdent aux chantiers sans avoir suivi l’ombre du début d’une formation. Mieux vaut miser sur la collaboration avec les instances patronales pour faire de la formation continue sur les chantiers. La sécurité des travailleurs, non négociable, doit faire l’objet d’une vigilance et d’un engagement sans équivoque des parties patronale et syndicale.
Il faudra cependant plus qu’un programme de formation accélérée pour combler le retard dans les mises en chantier au Québec. Dans le cadre d’un sondage anonyme réalisé auprès de ses membres, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec a recensé le blocage de plus de 25 000 habitations au Québec, résultat de problèmes mixtes liés à l’acceptabilité sociale et à son jumeau hideux, le « pas dans ma cour », aux lourdeurs administratives dans l’émission des permis et aux orientations politiques des décideurs publics. C’est une part non négligeable du problème.
L’industrie de la construction accuse par ailleurs un retard avec l’Ontario en matière de productivité. Les instances patronales sont d’avis que le décloisonnement des métiers permettrait de réaliser des gains potentiels, en augmentant la polyvalence des travailleurs. Elles réclament également la levée des barrières à la mobilité régionale, un phénomène insidieux qui perdure depuis trop longtemps. Ces barrières permettent en principe de stabiliser les emplois en région, mais elles sont utilisées pour préserver la chasse gardée des syndicats de la construction, comme l’ont amplement démontré les travaux de la commission Charbonneau.
Le ministre du Travail, Jean Boulet, devra faire preuve d’une grande détermination pour mener à terme sa réforme visant à décloisonner les métiers et à faciliter la reconnaissance des acquis et des compétences. Les femmes, les candidats issus de l’immigration et les membres des Premières Nations sont sous-représentés dans les métiers de la construction. C’est un enjeu qui appelle à l’action.
La FTQ-Construction s’est retirée des consultations menées par le ministre, ce qui est tout à fait déplorable. Les syndicats de la construction ne peuvent plus se contenter d’exprimer des réserves sur des questions de formation, de compétence ou d’intégration et claquer la porte quand ils se sentent menacés dans leurs prérogatives.