Les demandeurs d’asile pourront-ils de nouveau envoyer leurs enfants dans les garderies subventionnées au même titre que les autres immigrants temporaires ? C’est la question sur laquelle devra trancher la Cour d’appel le 2 novembre.
« Nous, ce qu’on demande, c’est que les demandeurs d’asile aient accès aux garderies [subventionnées] comme tout le monde. On ne demande pas de traitement de faveur, on veut juste qu’ils puissent inscrire leurs enfants sur la liste d’attente comme tous les autres immigrants temporaires », a déclaré Maryse Poisson, directrice des initiatives sociales au Collectif Bienvenue et porte-parole du Comité Accès garderie.
La travailleuse sociale trouve dommage que la bataille se soit rendue jusque devant les tribunaux. « On l’a fait par dépit, parce qu’on trouve que c’est une décision politique logique que de donner accès aux garderies aux demandeurs d’asile. »
Tout a commencé en 2018, à la suite d’une réinterprétation de l’article 3 du Règlement sur la contribution réduite de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance. Jusque-là, l’accès aux garderies à 8,50 $ par jour était notamment octroyé à toute personne titulaire d’un « permis de travail et [qui] séjourne au Québec principalement afin d’y travailler ». Du jour au lendemain, le gouvernement libéral d’alors avait décidé que les demandeurs d’asile n’étaient pas ici « principalement » pour travailler et les avait exclus de la définition.
Le Comité Accès garderie avait porté la cause devant les tribunaux et, en mai 2022, la Cour supérieure du Québec avait donné raison aux demandeurs d’asile, reconnaissant que le gouvernement du Québec n’avait pas les pouvoirs de réinterpréter un article du règlement sur la contribution réduite dans les services de garde. Quelques semaines plus tard, Québec portait la décision en appel.
Cinq ans sans accès
Cinq ans après que les demandeurs d’asile ont perdu l’accès aux garderies à 8,50 $ et aux versements anticipés du crédit d’impôt pour frais de garde, le Collectif Accès garderie ne comprend toujours pas la « logique » de ce choix. « On dirait que le gouvernement sentait le besoin d’exclure une partie de la population de cette liste pour pouvoir dire que les places sont octroyées plus rapidement. C’est dommage que les demandeurs d’asile fassent les frais des problèmes de notre système de service de garde », a indiqué Mme Poisson.
Pour elle, il est tout aussi dommage de ne pas faciliter l’accès au marché du travail aux demandeurs d’asile qui obtiennent très rapidement — en environ un mois — leur permis de travail. « Ce sont des gens qui parlent français ou anglais la plupart du temps et qui ont des compétences à offrir. On est en pénurie », fait valoir Maryse Poisson. L’accès aux garderies est aussi très utile pour permettre la francisation, ajoute-t-elle. « On peut juste y gagner. »
Elle dit connaître une demandeuse d’asile qui est payée pour être aide-éducatrice dans une garderie… qui lui demande 40 $ par jour pour garder son unique enfant. « Son salaire y passe, c’est absurde », souligne Mme Poisson.
« On est bloqués »
Karine, qui tait son vrai nom pour ne pas nuire à sa demande d’asile, est arrivée au Québec en 2021 avec son mari et deux enfants. Depuis, elle a eu un troisième enfant, citoyen canadien, qu’elle doit garder à la maison parce qu’il ne peut pas fréquenter une garderie subventionnée. « Mon fils a accès à la RAMQ, mais il n’a même pas le droit d’être sur une liste d’attente pour aller dans une garderie, déplore-t-elle. L’assurance maladie, oui, mais pas l’assurance éducation. »
Infirmière en Haïti, Karine avait trouvé un emploi comme préposée aux bénéficiaires, mais elle a dû le laisser. « Je gagnais trop peu pour que ça en vaille la peine », a-t-elle expliqué, en précisant que la facture d’une garderie non subventionnée peut dépasser les 50 $ par jour. Elle ira sous peu tenter sa chance au Nouveau-Brunswick et aimerait y déménager avec toute sa famille. « Ici, je suis bloquée. Je ne peux même pas travailler ou étudier pour être infirmière. […] On est réduits à la pauvreté. »
Karine croit que ces années sans garderie ne permettent pas à son enfant de socialiser et de s’intégrer. « La garderie, c’est pas juste pour nous, c’est bien pour les enfants aussi. Imaginez-vous les gens qui ne parlent pas français et qui sont à la maison pendant des années avec leurs enfants. Les problèmes vont arriver quand ils [les enfants] vont commencer l’école », soutient-elle.
Maryse Poisson abonde en ce sens. Ne pas donner l’accès aux garderies subventionnées aux demandeurs d’asile ne fera que retarder leur intégration à la société québécoise. D’autant qu’une majorité d’entre eux sont acceptés comme réfugiés. « C’est 68 % des demandeurs d’asile qui vont être acceptés à la première étape de l’audience et d’autres le seront en appel. Ce sont des personnes qui vont rester ici et on hypothèque leur avenir. Pourquoi ne pas les traiter dès maintenant comme des personnes qui vont contribuer à l’économie et à notre société ? »
Elle espère que la Cour d’appel tranchera du bon côté. « C’est sûr qu’on aimerait gagner, mais on pense que le gouvernement québécois a toute la latitude pour décider de redonner accès aux garderies aux demandeurs d’asile peu importe ce que la Cour décide. »
Au cabinet de la ministre de la Famille, Suzanne Roy, on s’abstient de tout commentaire étant donné que la cause est devant les tribunaux.