Longtemps perçu comme la bonne affaire des millionnaires, l’investissement immobilier résidentiel se démocratise grâce au financement participatif, un modèle déjà bien enraciné aux États-Unis, mais qui en est encore à ses balbutiements au Québec. Portrait d’une tendance qui a le potentiel de ramener l’immobilier à l’échelle des quartiers et d’arrimer la finance avec des valeurs de justice sociale.
Les locataires mécontents n’ont qu’à investir dans l’immobilier : cet énoncé de la ministre responsable de l’Habitation avait non seulement soulevé l’indignation, au printemps dernier, mais aussi valu à France-Élaine Duranceau une parenté peu enviable avec Marie-Antoinette d’Autriche, la reine aux brioches.
Pourtant, nul besoin d’appartenir à la royauté pour jouer dans l’arène immobilière : sans doute sans le savoir, l’élue caquiste évoquait une possibilité qui est, depuis quelques années, à la portée de gens moins fortunés.
Le financement participatif obéit au même principe que le sociofinancement, soit faire appel au grand public pour parrainer une cause ou une idée. La différence notable entre les deux, c’est l’aspect lucratif du premier : là où le sociofinancement cherche des donateurs, le financement participatif sollicite des investisseurs. La personne qui engage son argent s’attend donc, la plupart du temps, à un retour sur son investissement, peu importe sa mise initiale.
Chez l’Oncle Sam, cette façon de financer des chantiers est possible depuis l’adoption du JOBS Act en 2012. « Le gouvernement Obama a fait en sorte que le sociofinancement ne concerne plus uniquement la récolte de dons, mais aussi la récolte d’investissements, explique Eve Picker, fondatrice de Small Change, une plateforme de financement participatif. L’idée, c’était de réellement démocratiser l’investissement. »
Égalité, fraternité, immobilier
Grâce à des portails dûment réglementés par l’Autorité des marchés financiers américaine (FINRA) et par la Commission des valeurs mobilières des États-Unis (SEC), des promoteurs en manque de financement exposent leur projet au public dans l’espoir d’amasser une mise de fonds suffisante pour l’obtention d’un prêt bancaire.
La majorité des plateformes du genre allèchent les investisseurs en affichant des projets immobiliers qui promettent une juteuse rentabilité. Souvent, les investissements initiaux qu’elles exigent se chiffrent en milliers de dollars : il s’agit, d’abord et avant tout, d’une affaire de gros sous.
À Small Change, c’est la vocation des projets immobiliers et leur accessibilité aux petits investisseurs qui priment. Quiconque a un minimum de 250 $ en poche peut contribuer à des projets qui doivent répondre à des critères de mobilité durable, de nécessité sociale et d’équité raciale avant de recevoir l’approbation de la plateforme.
« Si quelqu’un vient nous voir avec le projet de “flipper” une maison au milieu du désert, quelque part au Texas, dans une banlieue sans transport en commun, explique Eve Picker, il a très peu de chance de compétitionner avec un projet de densification abordable sur un lot vacant depuis des années dans un quartier défavorisé. Fondamentalement, notre mission, c’est de soutenir des quartiers et des promoteurs qui n’ont pas vraiment de possibilités dans un monde financier très institutionnalisé. »
La plateforme établie à Chicago milite aussi pour rendre le monde immobilier plus inclusif. « C’est encore un jeu d’hommes blancs, précise-t-elle. Si vous vous rendez dans un grand rassemblement sur l’immobilier, ils composeront à peu près 99 % des personnes présentes. Sur Small Change, 63 % des promoteurs sont soit des femmes, soit issus des minorités. Aider ces groupes à réaliser leurs projets sans devoir se tourner vers des prêteurs qui leur imposent des taux usuraires, ça, ça me rend très fière. »
Gare à l’arnaque
« Moi, je me méfie de ça : ça sent l’arnaque à plein nez. » Le professeur de l’Institut national de la recherche scientifique Pierre J. Hamel n’y va pas par quatre chemins pour manifester ses réserves quant à ces produits financiers.
« Si quelqu’un vous dit d’investir 1000 $ dans tel immeuble au coin de votre rue, c’est comme dans n’importe quel placement financier : ça demande une inspection, croit ce spécialiste de l’immobilier. Qui va dépenser 500 $ pour faire inspecter un immeuble avant d’y investir 1000 $ ? Personne, voyons, c’est ridicule. »
Au Québec, c’est l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui encadre le financement participatif en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. Celle-ci prévoit depuis 2015 que toute compagnie qui veut recueillir des fonds auprès du public doit d’abord faire un prospectus, un volumineux document contenant souvent plusieurs centaines de pages et qui explique dans le menu détail les activités de la société. L’objectif, c’est de permettre aux investisseurs de prendre une décision éclairée avant d’engager leur argent.
Le prospectus doit notamment exposer les risques associés au projet. Par signature, les promoteurs attestent de la véracité des informations : si le document contient des données fausses ou trompeuses, les investisseurs ont des recours contre la société.
« C’est un moyen d’encadrer le sociofinancement, sans étouffer cette avenue-là qui était, il y a quelques années, probablement plus en vogue et populaire qu’aujourd’hui, explique Sylvain Théberge, directeur des communications à l’AMF. L’enjeu, c’était de savoir comment donner de l’oxygène à ces initiatives-là sans ouvrir la porte toute grande à la fraude. »
Le Devoir n’a répertorié qu’une seule occurrence de financement participatif immobilier au Québec : le développement Novium du Plateau McCrea, à Sherbrooke. Présentée en 2021 comme « une première » dans la province, la campagne avait rallié, à l’époque, le champion olympique Bruny Surin. Les luxueux édifices de logements en copropriété promis à l’époque ont vu le jour : la firme KP Management à l’origine de la collecte n’a toutefois pas répondu au Devoir, qui tentait de connaître le succès de la campagne et les retours consentis, depuis, aux investisseurs.