La grève d’une mère d’un jeune qui vit avec la trisomie 21

C’est non négociable : la madame du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme va fermer le dossier de mon fils.

Cet enfant a pourtant besoin d’une éducatrice spécialisée, je le jure, je ne vais pas y arriver seule — ma voix s’étrangle en le disant.

La dame assise devant nous est cheffe des services en déficience intellectuelle et sa mission est de fermer les dossiers des usagers qui reçoivent des services depuis plus de cinq ans. Elle dit ça poliment, elle nous informe qu’elle « révise les trajectoires de services ». Appelons-la la Dame de glace.

Mon fils, Lou, 12 ans, vit avec la trisomie 21. Il est taquin, affectueux et magnifique, mais il a des difficultés dans toutes les sphères de sa vie. Il a besoin d’aide pour s’habiller, n’est pas autonome à la toilette, personne ne comprend quand il parle sauf son père et moi, il est en situation de haute vulnérabilité chaque seconde de sa vie, car il ne sait pas dire « non » et il ne comprend pas le monde qui l’entoure. Bref. Malgré son charme déconcertant, c’est un enfant très handicapé.

La Dame de glace nous a fait venir en personne dans un local sans fenêtre du CLSC pour nous annoncer cette décision. « Parce que c’est mieux en personne. »

Elle parle d’une voix calme et assurée. Elle s’excuse d’être un peu enrhumée, un peu essoufflée, c’est difficile, ce microbe, en plus de son mal de dos.

Son objectif est d’obtenir notre adhésion à ce projet de fermeture de dossier. Mieux : notre collaboration.

Elle dit : « On va vous outiller avec des stratégies gagnantes pour que votre fils puisse généraliser ses apprentissages. »

Traduction libre : on vous laisse seuls avec un plan d’intervention quinquennal que vous devez mettre en oeuvre par vous-mêmes. Bonne chance !

C’est à cause de la liste d’attente ? De la pénurie de personnel ? De la grève ?

« Non. C’est parce que les dossiers de nos usagers ne peuvent pas rester ouverts toute leur vie. C’est tout. »

Fast-forward, sautons quelques passages en forme de langue de bois de niveau olympique : on sort de cette pièce une heure plus tard mon conjoint et moi en claquant la porte pendant que la Dame de glace nous tend le dépliant du commissaire aux plaintes en nous demandant de sa voix toujours aussi douce si on se souvient comment trouver la sortie.

Larmes, colère, incompréhension. Envie de crier, de frapper.

 

Bref. Le projet de la Dame de glace d’obtenir la collaboration des parents a échoué. Zut. Elle n’aura pas 100 % dans son bulletin de rationalisation des services.

Pourquoi je collaborerais avec ce projet de fermer le dossier de mon fils qui a des besoins particuliers, soutenus et sévères, pour toute sa vie ?

Pourquoi j’accepterais que mon enfant de 12 ans se retrouve sans soutien à l’aube d’une adolescence qui envahit son corps alors que son cerveau est à des millénaires de comprendre les changements qui s’amorcent en lui ?

Pourquoi fermer son dossier aujourd’hui tandis qu’il commence à mieux répondre aux interventions et à avancer, après des années de sur-place ?

Pourquoi maintenant, alors qu’on commence un suivi avec une éducatrice compétente, après des lunes de services morcelés, donnés par des intervenantes nullissimes (au total : six dans les deux dernières années) ?

Pourquoi cette décision unilatérale, sans considération pour les besoins de l’enfant et des parents ?

Je refuse.

 

Sauf que ça va se faire quand même. Car la Dame froide a du pouvoir. À défaut d’avoir une forme ou une autre de jugement clinique.

La grève ? Je la ferais si ça pouvait empêcher que mon enfant se fasse larguer du service de réadaptation alors qu’il ne sait pas encore dire « non » quand on lui fait du mal.

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