La hausse du coût de la vie frappe de plein fouet de nombreux étudiants postsecondaires. Travailler plus, faire appel à des banques alimentaires, s’endetter jusqu’au cou, voilà quelques stratégies qu’ils mettent en place pour joindre les deux bouts. Premier d’une série de textes sur la précarité étudiante au temps de l’inflation.
Tous les jeudis, une partie du deuxième étage du pavillon Judith-Jasmin, à l’UQAM, se transforme en petite épicerie. Pâtes, riz, oeufs, produits laitiers, pain, viande, protéines végétariennes, fruits et légumes et même nourriture pour animaux… Pour 10 $, 200 étudiants inscrits peuvent composer leur sac de denrées fournies en grande partie par Moisson Montréal, susceptibles de les nourrir pendant toute la semaine.
« On ouvre les inscriptions le vendredi pour la distribution du jeudi suivant, et c’est complet chaque semaine. On vient de commencer à créer une liste d’attente, explique Lily Truchon, coordinatrice des opérations à la Sphère de services, qui s’occupe du Bac alimentaire. On refuse toujours des gens qui se présentent sur place. »
Ce service, en place depuis 2020, enchante les jeunes adultes qui en bénéficient. « Il y a des trucs qu’on n’a pas les moyens de se payer mais qui sont très pratiques, comme des serviettes hygiéniques », note Wendy Chenevier, une étudiante française en design d’événements.
Derrière un comptoir, Jeanne Canuel distribue bénévolement les aliments réfrigérés demandés par ses camarades. Elle utilise elle-même cette aide, qu’elle trouve « vraiment pertinente et nécessaire ». « Ça m’aide beaucoup. C’est plus facile aux fins de mois et pour payer mon loyer », affirme-t-elle.
Comme beaucoup de personnes rencontrées sur place, Mme Canuel occupe un emploi en plus d’étudier à temps plein. « Je n’ai pas le choix, sinon ça ne serait pas possible de payer mes factures », indique l’étudiante en gestion des ressources humaines, qui dit travailler de 20 à 25 heures par semaine.
C’est un défi de travailler un nombre d’heures raisonnable pour se concentrer sur ses études, selon Oksana Caufriez. L’étudiante à la maîtrise en théâtre craint que le coût de la vie continue d’augmenter. « Si je dois travailler plus, je ne sais pas comment je pourrais garder une maîtrise à temps plein », rapporte celle qui travaille dans un restaurant au moins trois soirs par semaine.
En plus de la banque alimentaire, Mme Caufriez utilise l’application Too Good To Go, qui permet d’obtenir les invendus de divers commerces.
Entre faim et stress
Au collégial comme à l’université, les associations étudiantes et plusieurs établissements d’enseignement constatent en un an une hausse du stress financier vécu par les étudiants et des demandes d’aide. Pour y répondre, ils ont ajouté ou bonifié des programmes de soutien financier ou alimentaire.
« Quand on pose la question à nos jeunes : “c’est quoi qui vous cause du stress ?”, ce qui ressort en premier, c’est l’anxiété financière ! » relate le directeur de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay.
« Il y a les enjeux de logement, le coût de vie qui augmente, notamment à l’épicerie… Et nos étudiants — on le sait — ont des revenus très faibles, alors ils sont directement impactés par ça », explique-t-il.
À l’Université de Sherbrooke, le nombre de demandes pour de l’aide alimentaire a grimpé de 36 % par rapport à l’année dernière, note Amélie Corbeil, directrice du Département d’aide financière aux services à la vie étudiante de l’université.
Parmi la clientèle, il y a des étudiants admissibles aux prêts et bourses, mais qui ne parviennent tout de même pas à vivre décemment. Ou encore des étudiants internationaux, qui, eux, ne peuvent pas bénéficier de l’aide du gouvernement.
Même constat à l’École de technologie supérieure, où les demandes d’aide auprès de la banque alimentaire ont augmenté de 30 % entre l’automne 2021 et l’automne 2023. Par ailleurs, sans avoir élargi ses critères, l’établissement a observé en un an un bond spectaculaire du montant accordé aux étudiants par le biais de son fonds d’urgence.
« Quand ils sont en difficulté, on a un conseiller et une technicienne qui analysent leurs revenus, leurs dépenses, les situations dans leurs vies qui font qu’ils ne peuvent pas joindre les deux bouts. On leur donne un montant qui leur permet de se sortir la tête de l’eau », explique Catherine Tremblay, directrice par intérim des Services à la vie étudiante. Elle affirme qu’il y a « plus d’histoires, plus de besoins » depuis un an. Les ateliers d’éducation financière, eux, sont plus populaires que jamais.
Des effets sur la réussite scolaire
Un dossier de recherche publié récemment par l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (ORES) rappelle que l’insécurité alimentaire est « plus élevée chez la population étudiante que dans le reste de la population active », mais que cette population « ne fait pas l’objet d’une attention particulière dans les politiques provinciales et fédérales de sécurité alimentaire ».
Par ailleurs, des données de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant rapportent que le loyer médian des étudiants locataires montréalais est plus élevé que pour la population générale, alors que la moitié d’entre eux ont des revenus inférieurs à 20 000 $ par année.
Dans la grande région de Montréal, le loyer moyen des logements disponibles à la location est d’environ 1270 $, selon une récente étude du FRAPRU. Or, Amélie Tollu, une étudiante française à la maîtrise en sciences de la gestion à l’UQAM, et sa petite soeur, aux études en biochimie à l’Université de Montréal, n’ont rien trouvé en dessous de 1500 $ — montant qui correspond à leur loyer actuel — faute de garants québécois et d’historique de crédit suffisant.
« Il y a juste une chambre, que j’occupe. Et ma petite soeur, qui paie sa part un peu moins cher, dort dans le salon », témoigne Amélie.
« Nos parents ne peuvent pas nous aider financièrement. Heureusement, je touche une bourse d’implication avec mon travail au sein de l’association étudiante. Je fais aussi des heures comme auxiliaire de recherche. Mais j’ai du mal à tout gérer : le travail, l’association, les études », estime l’étudiante.
Si Amélie parvient à maintenir de bons résultats scolaires, ce n’est pas le cas de tous ceux qui sont dans sa situation. Selon l’ORES, le stress financier est susceptible d’avoir des effets négatifs importants sur la réussite scolaire. Il rapporte également qu’au-delà de 25 heures travaillées, le risque de ne pas terminer leur programme d’études s’accroît pour les étudiants à temps plein.
« De plus en plus d’étudiants travaillent de nombreuses heures pour subvenir à leurs besoins et ça affecte leurs résultats en classe », constate d’ailleurs Laurence Mallette-Léonard, présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec.
Il existe toutefois des solutions, soulignent les auteurs du dossier de l’ORES. Parmi elles, il y a la rémunération ou la compensation financière des stages d’études. On suggère également d’adapter les programmes d’aide financière aux études pour qu’ils reflètent davantage le coût de la vie actuel pour les étudiants.