La symphonie «Leningrad», miroir de notre monde?

Samedi, à la Maison symphonique de Montréal, Yannick Nézet-Séguin reprendra la Symphonie no 7 de Chostakovitch, dite « Leningrad », qu’il avait dirigée en 2018 à Lanaudière. Jouée le 9 août 1942 à Leningrad, au 335e jour d’un siège de 872 jours qui fera près d’un million de victimes civiles, cette symphonie pas comme les autres est bien plus qu’une « symphonie de guerre ».

Même si l’histoire a retenu ce concert dans une Leningrad assiégée, une saga relatée dans le brillant ouvrage de Brian Moynahan, Le concert héroïque, la première exécution de la Symphonie no 7 date du 5 mars 1942 à Kouïbychev (aujourd’hui Samara). Elle sera jouée à Moscou quelques jours plus tard.

Chostakovitch déclarera alors à la Pravda : « J’ai songé à la grandeur de notre peuple, à son héroïsme, aux merveilleuses idées humanistes, aux valeurs humaines, à notre nature superbe, à l’humanité, à la beauté. […] Je dédie ma Septième Symphonie à notre combat contre le fascisme, à notre victoire inéluctable sur l’ennemi et à Leningrad, ma ville natale ». La déclaration est fort intéressante. « Humanité, beauté, valeurs humanistes », dans ce contexte-là ? Quelle leçon pour nous tous !

Pour l’humanité

Avant de diriger cette symphonie à Lanaudière, il y a cinq ans, Yannick Nézet-Séguin avait qualifié cette oeuvre de « symphonie pour l’humanité », comme nous l’avions aussi fait à l’époque. Il était allé plus loin dans cette universalisation, se défendant de faire de la politique, en disant que la Septième montrait « comment, sournoisement, la bêtise peut s’installer dans nos vies et qu’un jour, en se réveillant, on constate qu’il est trop tard », concluant que ce chef-d’oeuvre « rappelle ce qu’il faut éviter ».

Quiconque a entendu cette symphonie en concert ne l’oublie jamais de toute sa vie. Le crescendo diabolique assourdissant du premier mouvement fait passer le Boléro de Ravel pour de la guimauve. La dernière fois à la Maison symphonique, c’était avec celui qui est à nos yeux le meilleur orchestre du monde : le Symphonique de la Radiodiffusion bavaroise, avec le regretté Mariss Jansons. Bien plus que d’autres, d’ailleurs, Jansons avait mis en valeur les dimensions universelles et humaines de la partition dans une interprétation jamais belliqueuse ou plastronnante. Par contre, le triomphe de l’espoir de la lumière, à la fin, était scandé avec une exacerbation viscérale.

Entre le grand crescendo et la croyance en un avenir meilleur, il y a même un peu d’humour. Ainsi, le second mouvement se devait de réduire la tension accumulée. Chostakovitch confiait à son biographe, Rabinovitch : « Shakespeare n’ignorait pas la valeur de l’humour dans la tragédie, et savait que l’on ne peut pas imposer aux auditeurs une tension continue. »

Mais en filigrane de l’humanisme, il y a tout de même un contexte qui ressurgit malgré nous. La symphonie « Leningrad » a tout vécu. Pour le concert du 9 août 1942 dans la ville assiégée, les musiciens arrivaient en uniforme militaire. « On pouvait voir des carabines et des pistolets appuyés contre les murs. Les boîtes des instruments étaient posées à côté », écrit Krzysztof Meyer dans son livre Dimitri Chostakovitch. Cinq mois auparavant, à Moscou, « avant le début du quatrième mouvement, le responsable de la défense antiaérienne prit soudainement place à côté du chef d’orchestre. Il leva la main et annonça d’un ton calme le début d’une alerte aérienne. […] Mais personne ne quitta son siège. On joua la symphonie jusqu’au bout. »

Pour son exportation, la partition voyagea par microfilm en partance pour l’Iran, transita par l’Irak, l’Égypte et traversa l’Afrique pour voguer vers les États-Unis, où l’attendait une cohorte de chefs. Koussevitzky, Ormandy, Stokowski et Rodzinski se disputaient l’honneur de la première aux États-Unis, mais elle fut confiée à Toscanini et diffusée sur les ondes de la NBC le 19 juillet 1942. Cette symphonie emblème fut jouée 62 fois aux États-Unis dans la saison 1942-1943, un fait unique pour une nouvelle partition au XXe siècle.

Une question demeure, en écho de notre époque : dirige-t-on la symphonie « Leningrad » de manière plus tendue, acide, mordante, déchirée aujourd’hui qu’il y a cinq ans ? Réponse ce soir.

La symphonie « Leningrad »

Yannick Nézet-Séguin dirige l’Orchestre Métropolitain. En première partie, María Dueñas joue le Concerto pour violon de Halvorsen nouvellement retrouvé. À la Maison symphonique, le 18 novembre à 19 h 30.

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