La triste histoire de rennes s’envolant en Russie

Près d’une vingtaine de rennes traversent la route E6, dans le nord-est de la Norvège. Ils se faufilent avec nonchalance entre des VUS Mercedes et Citroën. Ici, les rennes courent les rues. Parfois à leurs risques et périls. Parlez-en à l’éleveur de rennes sami Egil Kalliainen.

Il y a un an, une quarantaine de ses cervidés au museau velu ont profité d’une brèche dans une clôture, puis du gel de la rivière Pasvik, pour aller paître tranquillement dans le pays de Vladimir Poutine. Il n’en fallait pas plus pour provoquer un incident diplomatique entre Oslo et Moscou, à couteaux tirés depuis le début de l’invasion de la Russie en Ukraine, il y a près de deux ans.

La quasi-totalité des rennes a rebroussé chemin deux mois plus tard, regagnant le Royaume de Norvège. Mais le mal était fait, selon les autorités russes.

 

En août dernier, elles ont réclamé une somme de 340 millions de roubles — l’équivalent de quelque 6 millions $CA à l’époque — aux autorités norvégiennes pour les « importants dommages » que les mammifères aux bois aplatis avaient apparemment causés lors de leur séjour non autorisé dans l’oblast de Mourmansk.

« La couverture végétale du sol, qui prend la forme de lichens et d’arbustes, a été rongée. Il y a également eu du piétinement [des rennes] avec leurs sabots, ce qui a entraîné une dégradation de la couverture végétale dans la réserve. Cela contribue à l’augmentation de l’érosion des sols. En d’autres termes, nous perdons un élément de l’écosystème qu’il faudra des années pour restaurer », s’est désolée la directrice de la Réserve naturelle d’État de Pasvik, en Russie, Natalia Polikarpova, dans un échange avec le journal norvégien The Barents Observer.

De son côté, Egil Kalliainen a reçu de l’Agence d’inspection des aliments de Norvège la consigne d’abattre les 40 rennes de retour de Russie. La machine à propagande de Moscou s’est alors emballée.

Sur la plateforme de messagerie Telegram, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a crié au « sacrilège », avant de souligner à gros traits que « l’élevage de rennes est au coeur de la culture samie ».

Vrai. Les Samis côtoient les rennes depuis plusieurs milliers d’années, d’abord par la chasse, puis par la domestication et l’élevage, confirme Christina Mathisen derrière le comptoir d’accueil du musée Skolt Sámi, à Neiden, non loin des frontières finlandaises (à l’ouest) et russes (au sud et à l’est).

Plus de 3000 personnes font de l’élevage transhumant de rennes. La majorité d’entre elles se trouvent dans le Finnmark, au-delà du cercle polaire arctique, à l’instar d’Egil Kalliainen, qui vend plus de 30 tonnes de viande de renne par année.

Offenser un renne, c’est attirer le malheur sur toute la communauté nomade. Une telle chose ne doit en aucun cas être faite. Ces esprits ne pardonnent pas…

« Offenser un renne, c’est attirer le malheur sur toute la communauté nomade. Une telle chose ne doit en aucun cas être faite », a ajouté Maria Zakharova sur son compte Telegram, qui est suivi par plus de 475 000 personnes. « Ces esprits ne pardonnent pas… » a-t-elle averti.

Un « zoocide » scandinave, selon la Russie

Aux yeux de la fonctionnaire russe, les « néolibéraux » scandinaves se moquent non seulement des « sentiments » et de la « mythologie » des Samis, mais aussi de « l’humanisme apparemment européen ».

Maria Zakharova en veut pour preuve l’exécution du morse Freya à Oslo (été 2022) et de la girafe Marius à Copenhague (hiver 2014), laquelle a été tuée « avec un pistolet de chantier devant des enfants stupéfaits » avant que sa carcasse soit « découpée, toujours en présence de jeunes enfants, et donnée aux lions », a précisé la directrice du département de l’information et de la presse du ministère russe des Affaires étrangères. Le chihuahua Raya entré illégalement sur le territoire norvégien aurait connu le même sort (été 2020) n’eût été l’intervention de l’acteur féru d’arts martiaux Jean-Claude Van Damme, a ajouté Maria Zakharova.

Pour l’heure, les Norvégiens s’affairent à maintenir les rennes norvégiens en Norvège… et à faire face au dérèglement climatique avec eux. D’ailleurs, Egil Kalliainen a renforcé ici et là la clôture longeant la frontière séparant la Norvège et la Russie de crainte que d’autres de ses 2500 bêtes ne prennent la clé des champs et aillent brouter l’herbe russe.

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