Toute sa vie durant, l’iconoclaste critique de cinéma Minou Petrowski a projeté l’image d’une femme forte et affranchie, qui assumait autant ses coups de gueule en ondes que son penchant pour les jeunes hommes dans sa vie privée. Or, cette liberté que d’aucuns admiraient avait aussi un prix pour ses proches, qui l’ont souvent subie plutôt comme une forme d’égocentrisme. À commencer par sa propre fille, Nathalie Petrowski.
La journaliste a écrit des centaines de portraits de personnalités du temps qu’elle était chroniqueuse dans les pages de La Presse. Cette fois-ci, elle signe celui de sa propre mère, décédée il y a deux ans. Le portrait qu’elle dresse de Minou Petrowski en 130 pages est souvent vitriolique, parfois touchant, mais jamais complaisant.
« Les rapports mères-filles sont très souvent représentés dans les médias comme idylliques. Les femmes qui parlent de leur mère publiquement, c’est toujours pour leur rendre hommage, pour dire à quel point elles sont en symbiose. Mais dans les faits, les relations mères-filles, c’est toujours complexe. Parfois, comme avec ma mère, c’est carrément difficile. C’est ce que j’avais envie d’exprimer. Ça partait d’un élan très personnel, mais tant mieux si d’autres peuvent se reconnaître », explique d’entrée de jeu Nathalie Petrowski, en marge de la publication de La vie de ma mère.
Minou Petrowski, ou Georgette Visda de son nom de baptistaire, est née à Nice, en 1931, de parents originaires d’Union soviétique, fort possiblement juifs, qui la donneront en adoption. Durant l’Occupation en France, elle vécut avec la peur d’être persécutée. Puis, elle connut toute la période de foisonnement culturel et de libération sexuelle de l’après-guerre, avant d’immigrer au Canada avec son mari, le réalisateur André Petrowski.
Entrée à Radio-Canada comme maquilleuse, elle sera reporter dans les années 1960 à l’émission Femmes d’aujourd’hui, avant de devenir critique de cinéma et animatrice d’émissions culturelles par la suite. « Elle ne vivait que pour les vedettes qu’elle côtoyait. Il y avait toute une cour autour d’elle. Beaucoup de gens l’adoraient et je les comprends, parce que c’est vrai qu’elle pouvait être trippante. Mais quand tu es sa fille ou son fils, c’est une autre histoire », affirme Nathalie Petrowski en entrevue au Devoir.
Dommages collatéraux
Sans être moraliste ou réactionnaire, La vie de ma mère montre l’envers de la médaille de cette vie de bohème, de cet existentialisme qui a fait voler en éclats les vieilles valeurs familiales dans les années 1960 et 1970 au Québec. Ce livre fait du même coup contrepoids à tout un discours actuel, qui érige en modèle féministe les mères indignes, les cougars et autres anticonformistes, comme Minou Petrowski.
« Ma mère ne se disait pas féministe, mais elle l’était par sa manière de vivre. Les femmes comme elle ont été des pionnières. On leur doit beaucoup, je leur dois beaucoup. Mais il faut aussi comprendre que cette rupture avec l’ordre établi a été brutale. Ça a été dur pour les gens autour, et [mon frère et moi] avons été les dommages collatéraux de ça », tempère la journaliste, que l’on peut toujours régulièrement entendre sur les ondes de la Première chaîne.
Ma mère ne se disait pas féministe, mais elle l’était par sa manière de vivre. Les femmes comme elle ont été des pionnières. On leur doit beaucoup, Je leur dois beaucoup.
Nathalie Petrowski a toujours su que sa mère n’en était pas vraiment une. Minou était trop immature pour endosser un tel rôle ; trop désintéressée aussi de ses enfants. Nathalie et son frère Boris ont toujours eu l’impression d’être laissés à eux-mêmes. Un sentiment renforcé après le divorce de leurs parents.
Pour l’aînée, Minou était au mieux une amie d’agréable compagnie, avec son érudition et son goût prononcé pour la fête. Mais les excès de sa mère la mettaient parfois aussi mal à l’aise. Comme lorsque Minou tomba éperdument amoureuse de Louis, l’ami de son fils Boris, dans une soirée de Nouvel An. Il avait 21 ans, elle en avait 54. Une différence d’âge encore plus importante que celle avec son précédent copain, Yves, de 25 ans son cadet. Le goût de Minou Petrowski pour les jeunes hommes était de notoriété publique, ce qui exaspérait sa fille.
« Beaucoup de femmes disent que les cougars, c’est donc extraordinaire, c’est donc libérateur. Mais moi qui suis la fille d’une cougar, je ne suis pas certaine que ce soit si extraordinaire que ça. J’ai vu ma mère souffrir. Eux étaient encore dans la fleur de l’âge, et elle ne l’était plus, mais elle tentait de les retenir. Je ne juge pas toutes les femmes qui sont en amour avec des hommes plus jeunes. Bien sûr qu’une relation avec une femme plus vieille peut être saine. Le problème, c’est quand ça devient un pattern. Et dans le cas de ma mère, c’en était un », tranche-t-elle.
Mère manquante,mais pas fille manquée
Minou accordait davantage d’importance à ses jeunes amants qu’à ses enfants. Nathalie Petrowski lui en a toujours tenu rigueur, sans pour autant en garder des traumatismes, assure-t-elle.
Le temps aurait pu arranger les choses, mais il n’en fut rien. Au contraire, leur relation s’est envenimée lorsque la santé de Minou a commencé à péricliter. Minou, qui souffrait de démence, pouvait se montrer exécrable avec Nathalie Petrowski, même si cette dernière remuait ciel et terre pour lui offrir une qualité de vie décente.
« Elle m’a toujours reproché d’être trop straight. Oui, je l’étais. Oui, elle a été beaucoup plus libre que moi. Mais à la fin de sa vie, je ne sais pas ce qu’elle aurait fait si je n’avais pas été straight », lance l’autrice, avec un brin d’amertume.
Déjà avant la maladie, Minou Petrowski menait une vie qui n’avait plus rien à voir avec le strass des soirées cannoises auxquelles elle était habituée quand elle était critique de cinéma. Sans le sou après avoir flambé toutes ses économies, elle vivait aux crochets de sa fille, qui lui payait même un condo. Jamais Nathalie Petrowski n’a vraiment senti de reconnaissance de sa part. De quoi nourrir chez elle un certain ressentiment, qui persistait même après que Minou eut rendu son dernier souffle.
« Écrire ce livre a été une façon d’apaiser toute cette colère », confie Nathalie Petrowski, qui raconte avoir « presque » pleuré aux funérailles de sa mère.
L’ancienne chroniqueuse vedette de La Presse estime avoir été une mère radicalement différente de la sienne avec son fils, aujourd’hui âgé d’une trentaine d’années. Nathalie Petrowski aura hérité cependant de sa passion pour le cinéma et de son franc-parler. Quelque part, elle aussi admirait cette femme qui ne laissait personne indifférent.
« On ne peut pas écrire un livre sur quelqu’un qu’on n’aime pas », d’admettre Nathalie Petrowski.