Il y a un peu plus de quinze ans, le long métrage À l’ouest de Pluton (2008) prenait l’affiche, bousculant le traitement fait jusqu’alors des adolescents dans les films de fiction au Québec. Avec cette tragicomédie, tournée à la façon d’un documentaire, les réalisateurs Henry Bernadet et Myriam Verreault voulaient rendre justice au langage, aux montagnes russes émotionnelles et aux préoccupations d’une génération souvent dépeinte de manière caricaturale ou peu réaliste.
Près d’une décennie plus tard, concentré sur des contrats télévisuels et un autre projet de film, Henry Bernadet croyait en avoir fini avec l’adolescence. C’était avant qu’il fasse la connaissance de Chaimaa Zineddine, de Chris-Juste Kanyembuga et de Yassine Jabrane, et des jeunes des classes de théâtre de l’école Georges-Vanier, située dans le quartier Villeray à Montréal, dont le quotidien est au coeur du long métrage Les rayons gamma.
« En 2013, j’ai quitté la ville de Québec pour m’installer à Montréal, dans Villeray. J’ai été happé par le multiculturalisme et la diversité du voisinage. Au départ, je voulais réaliser un film qui prendrait la forme d’une fresque et qui rendrait compte de la réalité du quartier. Je ne souhaitais pas particulièrement mettre en scène plusieurs adolescents. Or, quand la professeure Sandrine Cloutier m’a ouvert les portes de sa classe et que j’ai rencontré ces jeunes, j’ai tout de suite compris que c’est d’eux que je devais parler. »
Pendant trois ans, le cinéaste a proposé des ateliers d’improvisation et de jeu à la caméra aux élèves. « J’ai aussi distribué des questionnaires dans les classes et organisé des discussions. Je voulais que les jeunes me parlent de leur quotidien, me racontent des anecdotes, me donnent leur opinion sur certains débats d’actualité. Je voulais les connaître dans toute leur authenticité, et je voulais que cette authenticité transparaisse dans mon film. »
Le chemin facile, très peu pour Henry Bernadet
Très vite, Henry Bernadet a eu des coups de coeur pour certains adolescents. « J’ai découvert des jeunes brillants, allumés, spontanés, touchants et, surtout, très drôles. Avec eux, il n’y avait aucune bullshit. Ils ne s’en laissaient pas imposer, et j’ai dû gagner leur confiance et leur respect. » Le réalisateur a aussi dû les convaincre de participer à son projet et de s’y engager. « C’était très compliqué, lance-t-il en riant. C’est presque un miracle que ce film sorte sur les écrans aujourd’hui. Plusieurs hésitaient, d’autres ont abandonné en cours de route parce qu’ils n’étaient pas assez motivés. Je devais alors réécrire le personnage. »
Chris-Juste Kanembuga et Nizar Lehkim, deux jeunes acteurs du film, peuvent en témoigner. Eux-mêmes n’étaient pas certains de vouloir faire partie de l’aventure au départ. « Je suis un athlète et je suis très occupé, raconte le premier. C’est ma mère qui a insisté. Elle avait raison, car ça m’a permis de réaliser le potentiel qui est en moi et de sortir de ma zone de confort. » Le jeune homme a notamment dû couper ses cheveux pour le rôle, en plus d’apprendre à naviguer sur un canot. « Je déteste l’eau », lance-t-il en riant.
Nizar Lehkim renchérit : « Je suis une personne plutôt solitaire, et j’avais peur de ne pas m’entendre avec les autres. Finalement, j’ai adoré mon expérience. Henry nous a vraiment aidés à construire notre personnage et à prendre part au scénario, en y mettant notre touche et notre personnalité. On pouvait signaler ce qu’on n’aimait pas ou ce qu’on ne jugeait pas réaliste. Ça a donné un jeu personnel qu’on ne voit pas souvent dans les films québécois. »
Les rayons gamma met en scène Abdel, dont la vie tranquille est bouleversée par l’arrivée d’un cousin extraverti qu’il héberge pour l’été, et bien déterminé à lui faire découvrir les joyaux de Montréal. Il y a aussi Fatima, qui peine à dénicher un emploi et à ainsi s’éloigner de ses mauvaises fréquentations. Puis, il y a Toussaint qui, après avoir trouvé un numéro de téléphone dans une bouteille échouée, entreprend une correspondance avec une inconnue qui change son regard sur le monde.
« Le film, c’est eux »
Le scénario est une rencontre entre les trames imaginées au départ par les coscénaristes, et le quotidien et la personnalité des jeunes. Plusieurs anecdotes et thèmes abordés dans le film sont par ailleurs inspirés de ce que ces derniers ont raconté lors des différents ateliers. Le résultat est criant de réalisme, un réalisme exacerbé par la décision de Henry Bernadet de donner carte blanche aux comédiens dans la livraison de leurs répliques. Les voix des jeunes donnent vie au vernaculaire spontané et poétique des adolescents, ainsi qu’aux nombreuses influences qui le traversent.
Cette méthode de travail, pourtant loin d’être simple, est une façon pour le cinéaste d’accéder à une forme de vérité. « Cette rencontre avec une réalité qui n’est pas la mienne n’aurait pu advenir dans un fonctionnement plus classique. Oui, c’est important de faire appel à des acteurs professionnels, mais je n’aurais pas réussi à parler du quotidien des jeunes et du quartier sans les inclure. Le film, c’est eux. »
La logique sert bien l’oeuvre, qui parvient sans aucune lourdeur à explorer des thèmes peu exploités sur les écrans québécois. À travers le parcours d’adolescents issus de tous les horizons, le spectateur accède à une représentation juste et sensible de certaines réalités socio-économiques et de l’expérience de l’immigration. « Je n’avais pas forcément envie d’aborder l’immigration de front. Je voulais dépeindre le quotidien de ces jeunes et, nécessairement, leur vécu témoignait de certaines expériences avec le racisme ou l’isolement. Je ne voulais pas parler de ce que je ne connaissais pas. J’ai donc mis dans le film ce que je voyais pour vrai, et c’est ce que ça a donné. »
Nizar Lehkim et Chris-Juste Kanyembuga, de leur côté, repartent ravis de leur expérience. « Si on me le redemande, je suis partant, affirme le premier. C’est ma nouvelle passion. » « Même si je me concentre sur le soccer, je ne laisserai pas passer une occasion qui m’intéresse », renchérit le second. On ne peut qu’espérer qu’Henry Bernadet ne sera pas le dernier à mettre en valeur un tel potentiel.
Le film Les rayons gamma prendra l’affiche le 10 novembre.