Malgré la déception des communautés francophones hors Québec, le ministre canadien de l’Immigration, Marc Miller, estime qu’il vaut mieux fixer une cible d’immigration francophone « réaliste », plutôt que de « mettre un chiffre pour faire plaisir à tout le monde ».
Voilà une attitude qu’on souhaiterait plus répandue en politique. Combien de promesses n’ont pas été tenues parce qu’elles étaient irréalistes au départ, mais ont été faites quand même simplement pour plaire aux électeurs ? On préfère trop souvent s’excuser après coup ou rejeter la faute sur « l’ancien gouvernement » plutôt que de donner l’heure juste.
M. Miller a expliqué que c’est « de peine et de misère » que l’objectif d’une immigration francophone hors Québec équivalant à 4,4 % du total des nouveaux arrivants dans l’ensemble du pays a été atteint l’an dernier pour la première fois depuis qu’il avait été fixé, en 2003.
À ses yeux, l’objectif de 12 % en 2024, qui augmenterait progressivement jusqu’à 20 % en 2036, comme le souhaitent les associations représentant les francophones hors Québec, simplement pour rétablir leur poids démographie au niveau du début du millénaire, est totalement irréaliste. Même les 6 % qu’il propose pour 2024, sans parler des 7 % et 8 % qui suivront, semblent bien ambitieux.
Dire que les services d’Immigration Canada pourraient être plus performants est un euphémisme. Il n’en demeure pas moins que le bassin d’immigrants francophones potentiels demeure relativement limité. Au cours des cinq dernières années, en tout, 42 470 d’entre eux se sont installés dans le ROC.
Si les 16 371 nouveaux arrivants francophones de 2022 ont été recrutés « de peine et de misère », on se demande bien comment le Québec pourra atteindre les nouvelles cibles fixées par le gouvernement Legault, même si le Québec offre sans doute un environnement linguistique plus attirant.
Le premier ministre donne souvent l’impression de jouer à l’apprenti sorcier quand il est question d’immigration. Lors de la dernière campagne électorale, il soutenait qu’il était impossible de trouver 35 000 immigrants ayant déjà une connaissance suffisante du français, comme le proposait le Parti québécois, tout en répondant aux besoins du marché du travail. Il fallait plutôt les franciser après leur arrivée.
Par un phénomène inexpliqué, il semble que la chose soit maintenant possible, à tout le moins dans le cas des 31 000 à 32 900 immigrants économiques que le gouvernement compte accueillir en 2024 et qui devront se soumettre à un test de français avant d’être acceptés. Peut-être fallait-il simplement mieux chercher. Il est vrai qu’on pourra toujours multiplier les exceptions que ne manqueront pas de réclamer les entreprises.
En ajoutant les 6500 diplômés qui auront profité de Programme de l’expérience québécoise dans un cégep ou une université francophone, « on vient changer complètement l’approche du côté de l’immigration permanente », s’est réjoui M. Legault. C’est comme l’oeuf de Colomb, il suffisait d’y penser.
Alors qu’il jugeait « suicidaire » un seuil supérieur à 50 000 immigrants, comme le milieu des affaires le réclamait avec insistance, il est maintenant possible de le hausser sans risque jusqu’à près de 64 000. Pourquoi faut-il être réaliste quand on peut « mettre un chiffre pour faire plaisir à tout le monde », n’est-ce pas ?
Il a eu plus de mal à régler le cas de l’immigration temporaire, toutes catégories confondues, dont l’explosion est telle qu’on ne peut plus ignorer ses effets sur la dynamique linguistique. La majorité de ceux qui la composent n’est peut-être que de passage, même s’ils peuvent rester pendant des années, mais leur volume est permanent et va sans cesse en augmentant.
Sur un total d’environ 460 000, le Québec n’a de contrôle que sur les 59 000 travailleurs admis dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), auxquels il décerne un certificat, les autres relevant du fédéral.
Les mesures de francisation proposées laissent perplexe. Le test qui sera imposé à ceux qui voudront renouveler leur permis au bout de trois ans, à la notable exception des travailleurs agricoles, ne sera qu’une formalité et il faudrait être naïf pour penser que le gouvernement fédéral, de même que des employeurs vont s’empresser de collaborer.
Pendant ce temps, à Ottawa, on demeure fidèle à l’esprit de « L’initiative du siècle » sans se soucier des inquiétudes qui se manifestent un peu partout au pays, où on craint que l’ouverture des vannes aggrave encore la crise du logement.
Il y a longtemps que le Québec a renoncé à suivre le rythme imposé par les politiques migratoires du Canada, préférant sacrifier son poids démographique et politique au sein de la fédération afin de préserver son identité.
Entre deux maux, il faut choisir le moindre, dit le proverbe. Chercher à faire plaisir à tout le monde est cependant le meilleur moyen d’avoir l’un et l’autre.