L’automne de tous les dangers au football

En allant rejoindre Benjamin St-Juste dans la grosse ligue cet été, Matthew Bergeron (Falcons) et Sidy Sow (Patriots) ont fait passer le pourcentage de joueurs québécois dans les formations partantes de la NFL à 0,177 %. En comparaison, depuis 1903, 0,00 % des prix Goncourt ont été attribués à des écrivains québécois et 0,008 % à des autrices acadiennes. Nous produisons désormais plus de joueurs de football américain de 140 kilos que de romanciers exportables dans les salons parisiens. C’est bien.

Quant à moi, à part l’heure passée à éplucher les dix pages de mon supplément du Journal de Montréal intitulé « Survol de la saison 2023 », ma préparation de la présaison a consisté à visionner, en famille, une série documentaire produite par Netflix et coiffée du titre bien français de Quaterbacks.

Il y a déjà un bon moment que je voulais m’intéresser à ces téléréalités sportives qui se multiplient actuellement, l’univers des sports professionnels, avec ses millions, ses drames, ses blessures, ses épisodes de rédemption et ses leçons morales solubles dans la victoire finale, représentant, aux yeux de quiconque pense avec une caméra à la place du cerveau, rien de moins qu’un nouveau Klondike.

Et donc, le sport, comme la drague, comme la célébrité, se débite désormais en épisodes de 50 minutes et en tranches de vie. Pour un championnat comme celui de la Formule 1, transformé depuis deux ans en une procession aussi palpitante à suivre qu’un cortège funèbre avec Max Verstappen au volant du corbillard, on peut dire que cette pub « à suivre » de plusieurs heures tombait pile : il manquait justement, à la F1, quelque chose comme un scénariste.

Jusqu’à la mi-août, j’ai résisté à cette « netflixation » sportive déclinée à grands coups d’algorithmes, même si une série sur le Tour de France, avec ses arcanes de la bécane, ses grands cols de montagne dressés tels des autels sacrificiels, avait de quoi me tenter. Y montrait-on les coureurs en train de s’injecter, dans l’intimité, de ces bons « produits naturels » qui donnent des ailes d’ange à Vingegaard ?

Mais le football, avec mon fils qui, tous les matins de semaine de cet automne, va sauter sur le turf de son école avec sa grosse tête casquée et ses épaules carrées, et avec une famille qui voue un véritable culte à Patrick Mahomes, je ne pouvais pas l’éviter.

Il faut d’abord s’habituer à la langue de la version doublée que, vu le contexte familial, nous avons dû nous taper, franchouillarde à souhait avec ses « en-but », ses « field goals », ses « roster » et autres « Ah galère, ça craint ! ». On y traduit même erronément « warm up » par « étirements », et c’est vraiment n’importe quoi. Question : la majorité des fans francophones de ce sport est-elle hexagonale ou nord-américaine ? Il faut vraiment que nous soyons une colonie linguistique pour endurer cet aberrant doublage en patois made in Paris.

Quaterbacks suit le parcours de trois quarts-arrières de la NFL tout au long de la saison 2022-2023, et l’échantillon de départ a été si bien choisi, est si représentatif des aléas d’une carrière de pivot qui, à ce très haut niveau de compétition, se résume pour l’essentiel à tenter, semaine après semaine, de sauver sa peau, qu’on ne peut faire autrement que de penser au gars des vues qui fait si bien les choses.

D’abord, il y a Marcus Mariota, l’honnête dépanneur qui n’a rien cassé avec les Titans, qui a été remplaçant chez les Raiders et qui débarque à Atlanta où les Falcons lui accordent, au rabais sans doute, une dernière chance d’être un quart partant dans la NFL. Il n’a pas encore 30 ans et c’est déjà l’automne où ça passe ou ça casse pour Marcus.

Et puis, Kirk Cousins, le passeur doué qui réfléchit trop, qui traîne sur ses épaules une réputation de « chôkeux » et tout le poids de l’histoire des Vikings, qui voudraient bien triompher, une bonne fois, au Super Bowl, et lui aussi, sauf qu’à 34 ans, après deux saisons à se faire enfoncer les côtes et secouer les organes derrière une ligne pleine de courants d’air, il ne rajeunit surtout pas.

Et enfin, le premier de classe, Patrick-vous-savez-qui, doté d’une exceptionnelle vision du jeu et qui passe ses soirées à bosser sur ses schémas offensifs encodés telles des formules cabalistiques et à décortiquer des vidéos avec l’application nonchalante d’une bolle de

5e secondaire, Mahomes dont le secret est un oxymore : un hypertendu qui s’amuse comme un fou et qui a rendez-vous à Phoenix en février, et ensuite à Disneyland.

Et cette saison ? Au départ, un trio de tête se démarque dans chaque conférence : Cowboys, Forty-Niners et Eagles dans la nationale ; Chiefs, Bengals et Bills dans l’américaine. Le prochain Super Bowl opposera sans doute une combinaison de ces éléments mêlant constantes et variables dans des proportions encore inconnues, avec, à la clé, la possibilité d’assister à la réédition d’un vieux classique : Bengals–Forty-Niners ou Bills-Cowboys. Deux équipes affamées, traînant un dossier combiné de sept défaites et zéro victoire au Super Bowl, contre deux quintuples champions.

Un peloton de poursuivants pourrait venir brouiller les pistes dans l’américaine : Chargers, Dolphins, Ravens… et pourquoi pas les Jaguars et les Jets ?

Tout dépendra de l’état du mollet de Burrow, de celui du cerveau de Tua et des multiples morceaux qui tiennent ensemble sous le nom de Lamar Jackson, sans même parler de l’équilibre psychique d’Aaron Rodgers, qui voit maintenant des soucoupes volantes.

Ah oui, c’est un sport où on peut se faire mal. L’an dernier, dans la cour de récré de son école primaire, mon garçon a lancé un ballon de football qui s’est trouvé à survoler une ou deux têtes. Un geste qualifié de « dangereux » par ses éducateurs. Les téléphones intelligents sont tellement plus sécuritaires.

Romancier, écrivain indépendant et chroniqueur sportif atypique, Louis Hamelin est l’auteur d’une douzaine de livres.

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