Le Canada s’occupe mal de ses proches aidants, malgré le besoin croissant de ces prestataires de soins, déplore le Centre canadien d’excellence pour les aidants (CCEA).
Réunis depuis lundi à Ottawa dans le cadre du premier Sommet canadien pour les aidants, des proches aidants et des décideurs politiques ont réclamé le développement d’une « stratégie nationale » en réponse à la « crise ».
« Nous sommes dans un moment de crise dans la prestation de soins partout au Canada », prévient le directeur des politiques et des relations gouvernementales du CCEA, James Janeiro, soulignant que les proches aidants « n’ont pas le soutien dont ils ont besoin pour faire ce travail ».
Aujourd’hui, bon nombre des quelque 8 millions de proches aidants canadiens sont aux prises avec des problèmes de « solitude » ainsi que de « détérioration de leur santé mentale, mais aussi de leur santé physique », explique M. Janeiro. Et environ 90 % d’entre eux auraient également besoin de soutien financier.
La Franco-Ontarienne Sylvie Sylvestre, qui a été proche aidante pour ses parents pendant 10 ans, en sait quelque chose. Sa mère était atteinte de la maladie de Parkinson et de démence ; son père avait un « trouble majeur de dépression et le début d’un trouble neurocognitif avant de décéder ». « Il faut penser à nous, les proches aidants, quand on vit une multitude d’émotions. On a besoin de soutien, de réponses à nos questions. Même si le travail de proche aidante a été gratifiant pour moi, il y a des fois où je me sentais fatiguée, et même stressée. »
Pour l’habitante du nord de l’Ontario, le « plus gros défi a été de défendre les droits de [ses] parents », unilingues francophones, « qui étaient des personnes vulnérables », et d’« être leur voix pour avoir des services en français ». Elle raconte avoir multiplié les allers-retours entre la résidence de ses parents, dans le village de Chapleau, et les villes de Timmins, à 200 km, et Sudbury, à 400 km, afin de tenter d’obtenir des services spécialisés en français.
Mme Sylvestre, qui est aussi agente de planification et d’engagement communautaire au Réseau du mieux-être francophone du Nord de l’Ontario, a plusieurs fois dû agir à titre d’interprète. Une pratique risquée, selon elle, qui l’a d’autant plus poussée à insister pour obtenir des services en français. « Je n’ai pas de formation médicale, je peux faire des erreurs. Il n’y a pas non plus l’aspect de confidentialité pour mes parents. Peut-être qu’ils n’ont pas dit des choses qu’ils auraient dites normalement parce que j’étais là. Est-ce qu’ils ont donné un consentement éclairé ? » se demande-t-elle.
« Il y a quelque chose qui les rassemble tous [les proches aidants] : la culpabilité, le sentiment de ne pas en faire assez, l’épuisement, l’isolement », énumère Magalie Dumas, directrice générale adjointe de L’Appui pour les proches aidants. « S’il y a quelque chose qu’on peut changer partout, dans toutes les provinces, c’est de leur demander comment ils vont. »
Le Québec en avance
Mme Dumas présentait mardi après-midi, avec d’autres panélistes, un atelier intitulé Apprendre du Québec. La province aurait en effet « une génération d’avance sur le reste du pays » concernant la « proche aidance », selon M. Janeiro.
Même si l’attente a été « longue », note Mme Dumas, le Québec s’est doté en 2021 d’un plan d’action gouvernemental pour « reconnaître et mieux soutenir » les proches aidants.
L’Ontario, lui, se situe dans la « norme », dit M. Janeiro, reconnaissant que l’Organisme de soutien aux aidants naturels de l’Ontario fait ce qu’il peut avec son « assez petit » budget. « Mais l’Ontario, c’est aussi la province la plus populeuse. Alors, c’est la norme, mais on a 14 millions de personnes qui habitent en Ontario et qui vivent dans un système qui n’est pas en avance sur le reste du pays. »
« Ça nous a pris du temps, au Québec. Je sais que les forces vives sont en place en Ontario. […] C’est sûr que l’impulsion doit partir du gouvernement », dit Mme Dumas. « Je leur souhaite une Marguerite Blais, avec un investissement total et indéfectible à la cause des personnes proches aidantes », ajoute-t-elle, faisant référence à l’ancienne ministre québécoise responsable des Aînés et des Proches aidants, sans qui le Québec « n’en serait peut-être pas là aujourd’hui », soutient le panel.
Une « stratégie nationale »
Une réaction est d’autant plus « urgente » que le besoin de proches aidants est grandissant. James Janeiro note que leur nombre risque d’« exploser » dans les prochaines décennies, et qu’« à peu près 50 % des Canadiens seront des proches aidants » au cours de leur vie.
Cela s’explique par le vieillissement de la population, la réduction de la taille des familles et l’augmentation de la durée de vie des personnes handicapées. « C’est magnifique, mais les systèmes de santé et de services sociaux n’ont pas été construits pour le vieillissement des personnes handicapées. »
Selon M. Janeiro, Ottawa devrait accorder plus de financement au soutien des proches aidants, mais aussi entamer une discussion avec les provinces pour que « le reste du pays commence à y prêter attention ». « Le système de santé, c’est une question provinciale, mais la prestation de soins et l’aide pour les proches aidants, c’est plus grand que ça. Il y a des questions de taxes, de travail, d’immigration, qui sont dans le domaine fédéral », souligne-t-il.
Il indique échanger régulièrement avec le gouvernement libéral, ainsi qu’avec le Parti conservateur du Canada, le Nouveau Parti démocratique, le Parti vert du Canada, et, depuis peu, le Bloc québécois. « Je trouve qu’il est intéressé, ouvert à continuer la conversation. »
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.