Cet été, Le Devoir vous entraîne sur les chemins de traverse de la vie universitaire. Une proposition à la fois savante et intime, à cueillir comme une carte postale. Aujourd’hui, nous concluons la saison en nous intéressant à un paradoxe touchant au vivre-ensemble.
Quelle est la recette d’un meilleur vivre-ensemble ? Selon la recherche en psychologie sociale, c’est le contact entre personnes d’ethnies, de cultures, ou d’horizons différents. Des centaines d’études ont montré qu’interagir avec des gens différents de nous et qu’avoir des amis différents de nous permet de réduire nos préjugés et nos stéréotypes — menant ainsi à un vivre-ensemble plus harmonieux. Excellent, le problème est donc réglé, me direz-vous. Pas exactement.
Pensez un instant à vos amis, pas vos amis Facebook, mais les personnes avec qui vous socialisez régulièrement, celles à qui vous confiez vos difficultés. Combien d’entre elles viennent d’un groupe ethnique différent du vôtre ? Combien d’entre elles ont une langue maternelle différente de la vôtre ? Si vous en comptez très peu dans votre cercle social, ne soyez pas étonné, vous êtes dans la même situation que la majorité des gens. En fait, nous avons tendance à nous tenir avec des personnes qui nous ressemblent et qui pensent comme nous, un principe que l’on appelle l’homophilie, en sciences sociales.
Un petit exemple : avec mes collègues Simon Grégoire et Laurence Morin, nous avons mené une étude auprès d’étudiants de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Pendant 21 jours, nous leur avons demandé de répondre chaque soir à quelques questions sur leurs interactions de la journée, que ce soit avec leurs collègues, leurs amis, le commis du Jean Coutu ou leur prof de yoga. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue savante International Journal of Intercultural Relations. Plus du quart du temps, les répondants s’auto-identifiant au groupe québécois dominant ont indiqué n’avoir aucune interaction interculturelle ces journées-là. Nous avions pourtant misé sur le fait que le style de vie étudiant offre typiquement beaucoup d’occasions pour socialiser…
Interagir
Pourquoi ? Comment expliquer le fait que nous interagissons fort peu avec des gens d’ethnies ou de cultures différentes de la nôtre ? Une possibilité est que ces interactions interculturelles ne sont pas forcément faciles. Dans une autre étude, ma collègue Myra Deraîche et moi avons demandé à différentes personnes à quoi cela ressemble d’interagir avec quelqu’un ayant une ethnie ou une culture différente de la nôtre.
Une participante nous a donné la réponse suivante : « Un peu inconfortable, un peu insécure, jamais trop savoir quoi dire. Vous savez, un peu comme marcher sur des oeufs. […] Je veux en savoir plus, mais je ne veux pas poser de questions parce que j’ai peur que ce que je vais demander soit mal reçu. En fait, il y a un peu d’incompréhension là-dedans aussi. » Inconfort, insécurité, incompréhension, la réponse en dit long : les interactions interculturelles ne sont pas toujours de tout repos.
Cette réponse fait d’ailleurs écho à plusieurs études menées en laboratoire où l’on compare la réaction de deux interlocuteurs de la même ethnie (par exemple, deux personnes blanches) à celle de deux interlocuteurs de deux ethnies différentes (par exemple, une personne blanche avec une personne noire) lorsqu’elles doivent interagir. Les résultats sont clairs : la plupart du temps, les duos interethniques ressentent davantage de stress, même sur le plan physiologique, que les duos monoethniques.
La majorité de ces études sur les interactions interculturelles sont menées en laboratoire, dans un environnement très contrôlé où les interactions sont entièrement scénarisées. Qu’en est-il dans la vie quotidienne ? Dans la réalité complexe de nos échanges spontanés et improvisés ?
C’est exactement à cette question que nous avons tenté de répondre grâce à notre étude sur les interactions quotidiennes des étudiants de l’UQAM. Pendant 21 jours, en plus de questions sur leurs interactions au cours de la journée, les participants ont également évalué leur « détresse psychologique » — un terme technique faisant référence à des perceptions de stress ou de mal-être. Nous avons aussi pris en compte leur niveau général de bien-être, de dépression et d’anxiété. Nos résultats reflètent exactement ceux obtenus en laboratoire. Les jours où les participants avaient plus d’interactions interculturelles que d’habitude, ils ressentaient davantage de détresse psychologique.
Persévérer
Nous faisons donc face à un casse-tête épineux. Le contact interculturel est essentiel pour le vivre-ensemble, mais les gens en ont peu, car il a tendance à être stressant et inconfortable. Quelles pistes de solution avons-nous ?
Tout d’abord, il faut savoir que cet « inconfort interculturel » n’est pas éternel. Il a tendance à s’estomper à mesure que les gens accumulent les interactions interculturelles. C’est un peu comme conduire une auto : très stressant les premières fois, mais en s’entraînant, on gagne en assurance. Il s’agit donc de persévérer.
La présence attentive est une autre piste prometteuse. La présence attentive fait référence à un état dans lequel on porte attention à son expérience lors du moment présent — que ce soit ses sensations physiques, ses émotions, ou ses pensées — délibérément et sans jugement. Depuis les dernières années, on a beaucoup entendu parler des bienfaits divers et variés de la présence attentive. Les résultats de quelques études indiquent qu’elle pourrait aussi être bénéfique pour les interactions interculturelles.
Par exemple, une thèse doctorale aux États-Unis s’est penchée sur les effets d’une méditation guidée favorisant la pleine conscience. Les résultats ont montré que les répondants ayant pris part à cette méditation rapportaient moins d’anxiété envers les interactions interculturelles et étaient moins susceptibles d’éviter une interaction interculturelle que les répondants d’un groupe contrôle sans méditation.
Cultiver la présence attentive pourrait donc être une manière de nous aider à réduire notre inconfort et à persévérer dans ces interactions interculturelles qui accrochent parfois un peu. En prime, c’est une piste à faible coût. Une multitude d’applis offrent gratuitement des méditations guidées visant à développer la présence attentive au quotidien. C’est certain, davantage de recherche est nécessaire pour tester l’efficacité et les limites de cette approche, mais en attendant, pourquoi s’en priver ? Le jeu du vivre-ensemble en vaut la chandelle.